Royaume_Work_Diary

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Texte  Cosima Weiter

Photographie Alexandre Simon


Londres, 16 janvier 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous nous levons tôt pour pouvoir atteindre la Balfron Tower avant 10h00 et être ponctuels à notre rendez-vous avec Wolfie. Comme je crains de ne pas bien maîtriser notre itinéraire, je l’appelle pour lui demander de ne pas s’inquiéter au cas où nous serions légèrement en retard. Pas de problème, répond-il, en fait, je n’aurai pas le temps de vous voir avant 14h30.
 
Un peu déçus, nous décidons tout de même de partir pour le quartier de Poplar où se dresse la tour. Alexandre a repéré une cité non loin de la Balfron. Baptisée Robin Hood Gardens, elle est habitée en majorité par des Pakistanais. A la sortie du métro, vaguement désorientée, je demande mon chemin au marchand de journaux paki lui aussi. Il ne sait pas. Sa cliente non plus. Une passante me fait comprendre qu’elle est sourde… Nous partons à la recherche de Robin Hood Gardens sans nous fier à personne dans ce quartier à mi-chemin entre le popu et le bourgeois décadent, coincé entre le centre de Londres et Canary Wharf dont les bureaux luxueux donnent sur la Tamise. Un emplacement de choix.
 
Nous trouvons Robin Hood Gardens entre des immeubles aux façades de verre et une voie rapide. La cité est constituée de deux barres d’habitations entre lesquelles se dresse une colline artificielle. Sur ce tertre, nous trouvons des tessons de bouteille, morceaux de verre qui semblent avoir été pilés, des canettes de bières, et des quantités de tubes de colle écrasés et racornis, délavés par le soleil et la pluie. On imagine à la nuit tombée des jeunes gens en perdition s’asseoir sur les blocs de pierre disposés au sommet et sniffer jusqu’à l’extase. La cité est sur point d’être démolie pour laisser place à des appartements d’un standing plus élevé destinés aux employés des grandes sociétés et des banques. L’une des barres est déjà vide, l’autre encore habitée. Jusqu’à quand ?  
 
14h30, nous rejoignons Wolfie devant la porte de la Balfron Tower. C'est un grand gaillard blond souriant. Nous montons jusqu’à son appartement. Pas exactement un appartement en fait car lorsque les locataires sont partis en vue des rénovations, les appartements ont été reloués en tant qu’ateliers à des artistes. Evidemment, comme nombre d’entre eux, Wolfie n’était pas seulement à la recherche d’un espace de travail, mais aussi d’un lieu de vie. Alors le voilà à guetter les courriers de la régie, espérant que les travaux prendront du retard et que son bail sera prolongé. En attendant, il vit en transit. Dans la pièce principale se dresse une réplique en carton de la tour. Une maquette qu'il a réalisée lui-même, car Wolfie est architecte.
 
Nous décidons de garder une trace de ce moment en réalisant une interview de Wolfie, tandis que la lumière baisse à l’horizon. Puis nous partons ensemble voir une exposition de photos. Un ancien habitant a photographié les appartements de l’intérieur et a disposé les images des pièces les unes sur les autres comme elles le sont dans la réalité. La balade se poursuit, nous allons boire une bière pour sceller notre projet de travailler ensemble, car nous lui avons demandé de nous épauler dans la recherche de personnes à interroger. Nous invitons ensuite Wolfie à manger dans un restaurant indien magnifique que nous avons découvert la veille au soir. Il accepte, enthousiaste, puis consulte ses messages sur son smartphone, tandis que le métro nous emporte tous les trois vers Hackney. Oh je suis désolé, j’avais oublié, j’ai un rendez-vous. Au revoir. Au revoir. Et le voilà parti, comme volatilisé !
 
 
 
 

Londres, 24 février 2016

 

 

 

 

 

 

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Comme Wolfie ne parvenait décidément pas à sauver du temps pour travailler pour nous, nous avons chercher quelqu'un qui accepte d'être notre assistant à Londres. Andrew nous a proposé sa collaboration et nous l'avons acceptée. Nous avons rendez-vous avec lui peu après notre arrivée à l’hôtel. Il nous a aidés à préparer ce séjour en Angleterre et a notamment pris contact et arrangé des rendez-vous avec plusieurs personnes que nous pourrons interroger. Andrew a  mentionné d'emblée le fait que les problématiques que nous souhaitons aborder dans Royaume résonnent fortement pour lui, et nous lui avons demandé s’il serait d’accord de répondre à nos questions. Il a volontiers accepté et le voilà nous livrant son histoire. Son père était un mineur plus souvent au chômage qu’à la mine, sa mère souffrait de dépression aigüe. L’enfance d’Andrew est marquée par la misère sociale et affective, les mauvais traitements et le déni qui l’ont conduit à fuir le nord de l’Angleterre dont il est originaire pour venir faire ses études à Londres.

 

Il a dû pour cela souscrire un prêt qu’il n’a pas encore fini de rembourser. Il travaille aujourd’hui comme producteur pour des artistes de différentes disciplines. Nous l’avons mandaté pour nous assister dans notre travail de recherches en Angleterre et outre le travail qu’il a déjà accompli pour nous, il a amicalement accepté de répondre à nos questions aujourd’hui.

 

 

 

 


 

Londres, 25 février 2016

 

 

 

 

 

 

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Andrew a organisé pour nous une rencontre avec Michael Owens. Nous avons rendez-vous avec lui à 14h00 au Spotlight, un café associatif tout proche de la Balfron Tower. Nous arrivons dans le quartier longtemps en avance car nous souhaitons refaire le tour de la Balfron et si possible voir où en sont les choses à Robin Hood Gardens.

 

Nous passons à l’arrière de la tour, du côté des parkings. Alexandre photographie les lieux. Un gars s’approche de lui et lui propose de monter en haut de la tour pour photographier la vue. Nous acceptons. Dans l’ascenseur, la conversation s’engage. Comme Wolfie, Neil vit dans la tour à titre provisoire. Après les prises de vues, il nous propose de boire un café chez lui. Il y règne un drôle de bazar dans lequel s’empilent des victuailles appétissantes et des cartons des vins.

 

Comme Wolfie, il vit suspendu au courrier qui lui annoncera qu’il doit quitter les lieux. Jusqu’à maintenant, la deadline a toujours été repoussée, mais il redoute de devoir déménager. Il ne trouve pas de logement à Londres et craint d'être obligé de quitter la ville dans laquelle habite son fils.

 

 

 

 

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Nous n’avons plus le temps de pousser jusqu’à Robin Hood Gardens avant notre rencontre avec Michael Owens. Andrew nous a mis en contact avec Michael car celui-ci a longtemps dirigé les programmes de l’agence pour le développement de Londres, notamment ceux concernant la régénération de des quartiers situés dans le détroit de la Tamise. Les problématiques liées aux évolutions du quartier de Tower Hamlets n’ont pas de secrets pour lui. Nous le retrouvons au Spotlight, mais le café est trop bruyant et nous décidons de franchir l’autoroute pour profiter d’un bureau de Veolia Environnemental Service qu’il a lui-même conçu pour pouvoir discuter tranquillement. Le point de vue de Michael sur la privatisation de la Balfron Tower est celui d’un homme pragmatique et optimiste. En tant que logement social, la tour posait des problèmes d’entretien insolubles. Les loyers ne suffisaient pas à couvrir les frais engendrés. Il fallait vendre la tour en profitant de la conjoncture économique favorable à Tower Hamlets pour investir dans d’autres logements dont l’entretien serait moins coûteux. La ville doit évoluer de manière à soutenir son propre développement économique. Les habitants en bénéficieront eux aussi pour finir. En attendant, il faut les reloger au mieux.

 

Nous évoquons notre discussion avec Neil et la situation à laquelle sont confrontés les habitants de la Balfron Tower. La difficulté réside dans le fait que les habitants d’origine, ceux qui bénéficiaient de logements sociaux, ont déjà été relogés. Les locataires actuels ont des baux temporaires et ne peuvent bénéficier d’aucune mesure de relogement. Tout cela relève d’une logique sans faille. Le détail qui pose problème est que les personnes ayant souscrit ces baux temporaires n’utilisent pas les locaux comme des ateliers, mais comme des logements à cause de la difficulté à se loger à un prix abordable à Londres. Ils auraient grand besoin, eux aussi d’un logement social.

 

 

 

 

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Avant de retourner au centre de Londres, Alexandre réalise des prises de vues à Robin Hood Gardens, c'est l'heure idéale pour filmer les barres d'immeubles à la tombée du jour, tandis que les fenêtres des appartements s'illuminent les unes après les autres. De mon côté j’enregistre quelques sons. Une alarme qui lance à intervalle régulier son cri strident. Les avions qui passent, les moteurs de voitures, les grues qui tournent sur leur axe, montent, descendent leurs câbles d'acier et les chants d’oiseaux tandis que le soir tombe.

 

 

 

 


 

Londres, 26 février 2016

 

 

 

 

 

 

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J’ai demandé hier à Michael Owens de m’indiquer où s’abritent ceux qui n’ont pas de toit. A Canning Town me dit-il, sous le pont autoroutier, au bord de la Lee. Il m’a même fourni un plan. C’est notre destination d’aujourd’hui.

 

Nous trouvons sans trop de peine l’endroit indiqué par Michael. Mais pas de tentes, pas de cabanes, personne. Sous le pont se dresse une grille qui empêche tout accès. Le gravier sur le sol semble avoir été disposé là récemment et surtout des travaux sont en cours dans toute la zone. Le Bow Creek Ecology Park ouvre ses portes et les promeneurs, les joggeurs, les cyclistes vont pouvoir profiter des bords de la Lee.

 

Alexandre trouve néanmoins des recoins dont nous aimerions faire des décors pour notre spectacle. Il prend des images dont nous allons nous servir dans le canevas qui nous servira à construire plus précisément le story board de Royaume.

 

 

 

 

 

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Passant sous le pont de l’autoroute, nous poussons ensuite jusqu’à Bidder street. On y respire une poussière nauséabonde. L’ensemble offre une atmosphère de désolation peu commune. Métaux, appareils hors d’usage, matériaux de construction c’est ici que tout finit, que tout est démantelé, broyé, concassé par des hommes et des machines qui ont l’air à peine moins usés que ce qu’ils brisent.

 

 

 


 

Londres, 27 février 2016

 

 

 

 

 

 

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Vanda est l’une des personnes avec lesquelles Andrew nous a mis en contact. Elle est médecin généraliste et artiste. Son travail artistique s’inspire de sa pratique médicale. En tant que médecin, elle a exercé à Tower Hamlets de 1989 à 2001. Elle soignait notamment des habitants de la Balfron Tower. Elle me donne quelques précisions concernant le système de soins en Angleterre. Premiers détail, qui a son importance : les soins sont gratuits, pourvu qu’il ne s’agisse pas de soins de confort, mais qu’ils visent à remédier à des problèmes de santé. Les médecins généralistes travaillent le plus souvent au sein de cabinet regroupant plusieurs professionnels de la santé, par exemple des sages-femmes et des infirmiers. Tous relèvent du primary care, c’est-à-dire les soins de première intention. Les patients dont les maux exigent des soins plus sérieux, notamment des interventions chirurgicales, sont adressés aux spécialistes qui relèvent du secondary care. Un médecin à plein temps s’occupe d’environ 2000 patients.

 

Forte de ces informations, j’interroge Vanda  sur le type de population qu’elle rencontrait à Tower Hamlets. Comme souvent à Londres, la mixité culturelle était importante : les Blancs, habitants d’origine du quartier souvent issus du monde ouvrier mais aussi des marins à la retraite qui vivaient en foyer, des Juifs et des Chinois installés là depuis le XIXème siècle, des Bengladeshis de la première, deuxième ou troisième génération, des sans abris, des réfugiés venus d’Afrique et des familles aisées depuis le renouveau de Canary Wharf.

 

Les maladies qu’elle avait à traiter étaient essentiellement liées à la surpopulation et la malnutrition. Autant dire qu’elles résultaient de conditions de vie misérables. Selon Vanda, l’état de santé de ses patients découlait clairement de leur condition sociale. Inutile de préciser que lorsque huit personnes dorment dans la même pièce, la maladie se transmet de l’un à l’autre de manière quasi systématique, notamment les affections pulmonaires, la tuberculose en particulier. Vanda me dit que la plupart des maladies dont souffraient ses patients n’avaient rien de bien original : diabète, problèmes cardiovasculaires, le foie aussi était souvent touché. Ce qui était impressionnant c’est que leurs maladies prenaient un tour extrême, et qu’une pathologie ne venait que rarement seule. Or il était difficile de soigner des patients présentant plusieurs pathologies à la fois lors de consultations de 10 minutes.

 

Lors des travaux de construction de Canary Wharf, l’asthme a pris des allures d’épidémie. Conséquence des poussières en suspension.

 

Les patients de Vanda étaient également souvent dans un état de délabrement psychique important. Avoir conscience que l’on est en bas de l’échelle sociale, avec très peu d’opportunités de voir jamais sa condition s’améliorer est déprimant. L’usage fort répandu de la drogue - héroïne, colle - surtout et de l’alcool favorisait les dérives psychotiques, et les réfugiés arrivaient souvent avec des traumatismes importants. Il y a fort à parier que la situation ne se soit pas améliorée ces dernières années.

 

Vanda m’explique que la plupart des jeunes quittent l’école à 16 ans. Les garçons se tournent vers les métiers de la construction, travaillent comme chauffeurs ou ouvriers. Les jeunes filles deviennent souvent mamans très tôt. La maternité étant vécue comme une voie vers l’indépendance, puisque le council se doit de trouver des logements aux jeunes familles. Mais les couples résistent mal aux difficultés sans nombre de leur vie. Les violences conjugales sont nombreuses. Les ruptures tout autant. Vanda sourit tristement. Le tableau qu’elle me décrit peut sembler caricatural, il n’en est pas moins réaliste. Heureusement, il y a des familles exceptionnelles, dont les parents motivent les enfants pour qu’ils travaillent à l’école et poursuivent leurs études, ajoute-t-elle.

 

Concernant la Balfron Tower, Vanda se souvient de la beauté des appartements, de leur conception exceptionnelle. Elle n’oublie pas non plus les ascenseurs constamment en panne, et l’odeur nauséabonde des escaliers dans lesquels plus d’un se soulageait. Ces incivilités résultaient de la faiblesse du lien social. Selon elle, il se construisait plus facilement à Robin Hood Garden où les blocs d’habitations sont moins élevés. Le parc et la colline artificielle qui s’étendent entre les deux bâtiments constituaient une aire de jeu précieuse pour les enfants, et un lieu de rencontre pour les adultes.

 

Avant de clore cet entretien déjà passablement déprimant, Vanda me dit qu’il y a là une misère muette dont nul ne se préoccupe. Celle des vieux qui n’attendent plus que la mort dans leur petit appartement, qu'ils partagent souvent avec un animal de compagnie.

 

 

 

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Londres, 28 février 2016

 

 

 

 

 

 

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Manchester - Bradford, 7 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous avons décidé de nous rendre directement à Bradford depuis l’aéroport de Manchester, car Alexandre souhaitait retourner dans cette petite ville où il avait séjourné il y a trois ans.

 

Le bus National Express qui nous emmène là-bas traverse des paysages désertiques, bosselés, couverts d’herbe jaunie auxquels je ne m’attendais pas en Angleterre. Les bosquets verdoyants, les étangs logés entre deux collines nous attendent plus au Nord.

 

A Bradford, un peu perdus dans la station de bus, nous interrogeons passants et employés : comment rejoindre Westgate ? C’est dans ce quartier au nord de la ville que nous avons réservé une chambre. Hélas, les avis divergent concernant le numéro de la ligne que nous devons emprunter. Finalement, nous montons dans un bus dont le chauffeur sympathique semble connaître notre hôtel. De fait, il nous arrête devant la porte d’un bâtiment edwardien magnifique. Un pub occupe le rez-de-chaussée, tandis que les chambres se trouvent aux étages. Nous gravissons l’escalier en colimaçon jusqu’au second. La chambre est rénovée a minima. Hormis la bouilloire électrique qui trône sur un guéridon, j’ai l’impression de vivre quelques siècles en arrière. Jusqu’à ce que je regarde à la fenêtre : de l’autre côté de la rue se dresse la mosquée, grise, immense, imposante, autoritaire. C’est que Bradford est une ville où l’immigration est importante. Nombre de ces nouveaux venus arrivent du Pakistan et sont musulmans.

 

Nous repartons aussitôt pour le National Media Museum. Nous traversons le centre ville, tout en montées et en descentes, puis aboutissons sur Centenary Square. On ne peut pas dire qu’il fasse chaud, mais le soleil brille. Les enfants utilisent la fontaine centrale comme une vaste pataugeoire. Certains se baignent tout habillés, d’autres traversent la fontaine à vélo, éclaboussant tout et tous sur leur passage. Il y a aussi ceux qui s’aspergent sur les jets d’eau en criant d’allégresse. Toute une population d’Anglais à la peau laiteuse et de Pakis dont les filles restent couvertes, même trempées jusqu’aux os se tient là, profite du samedi après-midi en devisant gaiement.

 

Le musée surplombe le square et la fontaine. C’est un bâtiment moderne qui compte de nombreux niveaux dans lesquels est retracée l’histoire de la télévision, une histoire qui mêle technique - on peut voir des appareils de toutes les époques - et émissions mythiques… Les photos d’Alec Soth nous intéressent davantage. Elles sont magnifiques. La gardienne nous donne quelques informations sur le projet de l’artiste. La conversation s’engage d’autant plus facilement qu’elle parle un français remarquable. Lorrayne a vécu de nombreuses années à Bruxelles où elle travaillait pour Reuters avant de regagner sa région natale. Nous lui parlons de notre projet et convenons avec elle d'un rendez-vous pour le lendemain.

 

Il est dix-huit heures, le musée ferme ses portes. Alors débute une longue errance pour trouver un endroit où manger. Les pubs sont légions, et dans un premier temps la tâche semble aisée. Mais certains ne font pas à manger. Aucun n’accepte les enfants. Les restaurants appartiennent tous à des chaînes du type Mac Donalds ou KFC… Finalement un Paki accepte de nous servir, nous sommes ses derniers clients, son épouse range déjà les plats dans le frigo, passe le balai. Dehors, plus une devanture n’est éclairée. Il est 20h00, nous sommes samedi soir. C’est une ville morte me dit-il en souriant avec mélancolie, et je souris de même.

 

 

 

 


 

Bradford, 8 mai 2016

 

 

 

 

Alexandre est parti tôt ce matin, pour retrouver la vaste place qu'il avait tant aimée il y a quelque années. Elle était au centre de la ville, et constituait un immense espace dédié à la vie sociale. Mais hier soir, impossible de la trouver. Lorsqu'il revient, Alexandre consulte les photos qu'il a prises ici lors d'un séjour précédent. Il a l'air bouleversé. Je l'ai trouvée, dit-il, mais elle n'est plus là. A la place, il y a le Broadway, le centre commercial.

 

 

 

 

 

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Soleil estival. Nous déjeunons au North Gate Bistro, un café familial et jamais le full english breakfast n’a été aussi savoureux. Les patrons sont aux petits soins pour chaque client, qu’ils connaissent personnellement. Au-dessus du bar, une longue liste de noms et d’additions. Les ardoises des uns et des autres. L’atmosphère est bon enfant ce dimanche matin. Les supporters de l’équipe de Bradford viennent prendre des forces avant le match.  Ils arborent des T-shirts jaune et grenat, les couleurs de la ville. Mais soudain les conversations s’interrompent, le silence envahit la salle. De l’autre côté de la rue, un jeune gars s’est effondré. On tente de le ranimer en vain. L’ambulance arrive, l’homme à terre, toujours inconscient est examiné rapidement puis emmené. Dans le café, chacun reprend son souffle. Un mot revient plusieurs fois : drug.

 

Nous décidons de nous mêler à la foule en partance vers le stade. Sur le chemin, les pubs sont pleins. La bière coule à flots. Sur le parking du supermarché, on procède à l’élaboration de cocktails énergisants : redbull vodka. Dans la foule, peu de Pakishs pourtant si nombreux dans la ville, mais un incroyable mélange de générations et plus de filles et de femmes qu’on ne pourrait s’y attendre.

 

Le flot des supporters semble infini. Enfin le match débute. Les clameurs résonnent dans toute la ville, relayées par la radio et la télévision.

 

Nous regagnons le centre ville et le musée pour retrouver Lorrayne. Pas le temps pour une interview, mais la discussion est intéressante. En effet, Lorrayne salue vivement la construction du Broadway, un centre commercial d'une laideur sans nom qui occupe désormais toute la place centrale qui constituait le cœur de la ville, le lieu où les amoureux venaient se bécoter sur les bancs, où les enfants faisaient du vélo, du skate, où les mamans causaient au soleil, où les sans logis reposaient leurs pieds fatigués… Certes, dit-elle, mais le centre commercial embauche des jeunes peu qualifiés de la ville, une population particulièrement touchée par le chômage. En outre, il attire des clients de toute la région, alors qu’auparavant, il fallait au contraire prendre sa voiture et aller dans une des villes environnantes pour acheter quoi que ce soit.

 

Le temps passe, il est temps de nous séparer. Vite nous retournons à la gare routière, qui nous impressionne bien moins qu’hier et prenons le National Express pour Sheffield.

 

 

 

 


 

Sheffield, 9 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Je me rends au Kelham Island Museum que j'avais déjà visité l'hiver dernier pendant qu’Alexandre part faire des repérages photographiques dans le quartier. Les usines y étaient nombreuses, dès la fin du XIXème siècle, profitant des cours d’eau pour produire la vapeur qui en était la source d’énergie principale. Elles ont fermé dans les années 1980. Les traces de cet abandon sont encore palpables, mais de nombreux bâtiments sont en rénovation, voire en construction, destinés à loger des familles aisées qui apprécient le charme des canaux et l’architecture industrielle des anciennes bâtisses aux murs de briques rouges.

 

Je revois le documentaire dans lequel témoignent celle qu'on a appelées les femmes d’acier de Sheffield, qui ont activement participé à la victoire de 1945. Cela m’intéresse, mais j’ai besoin de témoignages plus récents pour nourrir l’écriture de Royaume.  Je m’adresse donc à l’un des employés du musée en lui décrivant notre projet et mon désir de rencontrer des personnes qui auraient travaillé pour l'industrie métallurgique. Il s’appelle Andy, il est sympathique, et a l’air de penser qu’il lui serait facile de contacter quelques volontaires du musée, des retraités des usines pour répondre à nos questions. Il me donne son adresse mail et propose que je lui envoie un message qu’il pourra transmettre aux intéressés. C’est ce que je fais dès notre retour à l’hôtel.

 

Nous réfléchissons ensuite à la scénographie, faisons des maquettes, envisageons des espaces de projection, pesons les pour et les contre. Alexandre part finalement filmer des plans à Park Hill en modifiant le cadre de sa caméra, nous pourrons ainsi visualiser plus précisément les implications de nos choix. Le soleil se couche. La lumière est magnifique.

 

 

 

 


 

Sheffield, 10 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous allons à Park Hill dans le but de tourner de nouveaux plans. De l’autre côté de la route, face aux murs aveugles de la cité vide, se trouve un café bien ouvert. Une véritable bénédiction pour nous qui nous sommes fait surprendre par la pluie. Les clients sont des habitués, ils se lancent des piques en attendant leurs sandwich sausage and egg ou leurs cheese burger.

 

 

 

 

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Aucun signe d’Andy du Kelham Island Museum dans ma boîte mail. J’essaie de rester positive et patiente.

 

Nous décidons de nous adresser à Craig de Mac Support, qui avait si gentiment réparé mon ordinateur l’hiver dernier. Plusieurs clients sont là. Certains viennent déposer leur machine, d’autres viennent la récupérer. Ballet incessant, dont le livret se dit à mi-voix, et au milieu duquel Craig semble plus tendu, plus fatigué qu’en fin d’année dernière.

 

Il m’en explique la raison une fois installé dans son bureau. Son principal collaborateur a disparu, ou plus exactement il a déserté depuis une semaine. Il est tout simplement parti, apparemment pour New York, car Craig a retrouvé un billet d’avion dans sa boîte mail professionnelle. Il n’a pas posé de congé, pas pris la peine de démissionner ou de parler de son projet. Il est parti.

 

Craig s’est d’abord inquiété, il a cherché des raisons, et puis il s’est remis à l’ouvrage. Il collaborait avec cet employé depuis huit ans au développement d’une application  destinée à améliorer la sécurité des chauffeurs de taxi à bord de leur véhicule. Enfin l’appli est prête depuis janvier. Les commandes affluent. Il faut y répondre. Installer les systèmes sur les voitures et vérifier que tout fonctionne correctement. Ce sont les tâches que Craig partageait avec son associé. Il doit maintenant y faire face seul. Plus grave encore, il s’est aperçu que son collègue avait installé des systèmes défectueux. Craig doit rappeler les chauffeurs de taxi pour remplacer les appareils.

 

Craig est furieux, déçu, mais toujours aussi combatif. II est déjà à la recherche d'un nouveau collaborateur. Il lui faut faire vite. Sinon il sera submergé par le travail.

 

Je compatis. Il me semble que la disparition est un motif récurrent de la société anglaise. Partir sans prendre congé paraît une manière de procéder envisageable. Une issue lorsque la pression devient trop forte. Ce motif va-t-il accompagner Royaume comme les rengaines républicaines de Joe avaient en leur temps accompagné le travail de préparation de Angels ?

 

Craig prend pourtant le temps de nous écouter. Il propose d’appeler son grand-père qui a travaillé pour British Steel. Il va aussi donner quelques coups de fil ici et là au cas où. L’espoir renaît.

 

 

 

 


 

Sheffield, 11 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous retournons au Hard Hat, le petit café de Park Hill que nous avons découvert hier pour y déjeuner. Les deux associées sont pressées de partir. Le café ferme à 14h00 car leurs enfants sortent de l’école à 15h00. Elles se hâtent de ranger et nettoyer tandis que nous nous préparons à aller tourner des plans dans la cité : travellings en plans serrés sur des murs couverts de carreaux colorés, ombres d’enfants jouant dans le soleil. Le pont qui enjambe la voie ferrée. Un gars nous demande ce que nous faisons là. C’est vrai, le sol est jonché de détritus et l’odeur d’urine ne se laisse pas aisément ignorer.

 

La passerelle tremble chaque fois que quelqu’un marche dessus, et nous devons nous interrompre régulièrement car les passants sont nombreux. La lumière est crue. Que faisons-nous là ? La question se pose effectivement avec une grande acuité, mais nous ne prenons guère le temps d’y répondre. Il est temps de nous préparer à partir pour Londres.

 

4h00 de bus. Comme toujours confortable et calme. Une légère angoisse pointe pourtant lorsque je m’aperçois que tous les passagers jeunes, vieux, Anglais, Pakis, Blacks sans exception sont reliés à leur smartphone. Ils jouent, écoutent de la musique, chattent, appareil en main, écouteurs rivés aux oreilles, les yeux clos ou tournés vers leur écran. Solitude.

 

A Londres, Victoria Station s’est muée en centre commercial. Il faut admirer les boutiques, lécher les vitrines jusqu’à la nausée pour pouvoir enfin accéder au métro.

 

Nous piquons vers l’ouest. Brent, Willesden Junction, mais le métro fait son terminus plus tôt, à Queens Park. Une âme obligeante me conseille de sauter dans le bus 260 pour poursuivre mon chemin. Il ne tarde pas et nous arrête tout près du Hollingbury Hotel.

 

Malgré son nom bien anglais, ce petit hôtel est tenu par des Pakis. Il faut négocier le prix, le paiement en cash est préféré… Jusqu’à ce qu’Alexandre mette un terme à la discussion. Nous ne paierons pas un cent de plus que prévu lors de la réservation et nous paierons comme prévu, par carte visa.

 

 

 


 

Londres, 12 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous visitons Willesden, le quartier dans lequel a grandi l'auteur Zadie Smith, à qui nous empruntons une anecdote de son roman Ceux du Nord-Ouest pour écrire Royaume. Le quartier est très vivant, bigarré. Beaucoup de Pakistanais, de Bengladais, d’Indiens, de Caribéens, quelques Anglais aussi, qui semblent égarés tant ils paraissent minoritaires.

 

 

 


 

Londres, 13 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Londres, 14 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous décidons de partir sur les traces des personnages de Ceux du Nord-Ouest, et construisons un itinéraire en nous basant sur les indications données dans le livre de Zadie Smith.

 

Certaines rues, comme Albert road ont tellement changé qu’elles ne correspondent plus du tout à la description donnée dans le livre qui date pourtant de 2012. A la station de métro de Kilburn, la marchande de fleurs est toujours là. Shoot up hill grimpe sec. Au moment de franchir le pont par dessus la voie ferrée, nous avisons un portail ouvert, un chemin qui descend fendant une végétation luxuriante. N’y résistant pas, nous bifurquons, et nous nous retrouvons dans un genre de cage, suivant un parcours qui descend vertigineusement au milieu des arbres. En bas, la voie ferrée et un chemin, des maisons des jardinets, bientôt tout un quartier, comme à l’abri, loin de tout et pourtant au cœur de la ville.

 

Il faut bientôt rebrousser chemin, sauter dans un bus, regagner la civilisation, quitter le vert pour le gris. Ce soir nous allons voir un concert de Tuxedomoon et retrouver Blaine Reininger, avec qui nous avions collaboré pour Angels, notre précédent spectacle.

 

 

 

 

 

 

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Londres, 15 mai 2016

 

 

 

 

 

 

 

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Au Hollingbury Hotel, l’atmosphère s’est sensiblement réchauffée depuis notre arrivée, Ce matin, le jeune employé, apercevant l’appareil photo d’Alexandre, lui a demandé de faire son portrait. Il pose devant l’objectif, bien calé dans son fauteuil, entre le frigo et la porte.

 

 

 

 

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Nous reprenons la balade d’hier sur les traces de Keisha et Nathan les personnages de Ceux du Nord Ouest. Notre marche est ponctuée de tentatives infructueuses pour recontacter Neil, une habitant de la Balfron tower rencontré lors d’un précédent séjour, dont nous souhaitons avoir des nouvelles. En effet, la tour est en passe d’être rénovée et les locataires doivent quitter leurs appartements. Lorsque nous avions rencontré Neil cet hiver, son déménagement était imminent et cela l’inquiétait car il n’avait pas encore trouvé de logement.

 

Nous aboutissons finalement à Hampstead Heath. La profusion des plantes est un enchantement. Il faudrait davantage de temps pour  arriver au pont duquel Keisha songe sauter dans le roman, puis renonce avant de retourner à la vie. Mais la lumière baisse. Il est temps d’aller à Canning Town pour tourner les plans que nous avons repérés la dernière fois avant que la lumière ne décline trop.

 

Canning Town. Nous avons découvert cet endroit grâce à Micheal Owens que nous avons interrogé au mois de février. Les sans abris y avaient installé un campement sous le pont autoroutier qui les protégeaient de la pluie et du vent. Mais L’endroit est situé au bord de la Lea, tout près du Limmo Peninsula Ecology Park. Les tentes des sans abris ont disparu, les grilles ont jailli du sol, interdisant à quiconque de s’installer sous le pont. Elles se multiplient entre chacune de nos visites, à tel point que le plan que nous avions prévu d’y tourner suite aux repérages que nous avions faits lors de notre précédent séjour, il y a quelques mois est devenu difficilement réalisable : une grille se dresse là où devraient se poser les pieds de la caméra, et il faut cadrer entre les barreaux… Nous ne renonçons pas pour autant. Alexandre parvient à ce tour de force et réalise le plan prévu, ainsi que plusieurs autres dans la lumière du soir.

 

Intriguée, j’observe une lumière vacillante de l’autre côté de la Lea. Des gens font un feu sous une passerelle. Un dernier vestige des campements qui se tenaient ici autrefois ?

 

Pendant que la caméra tourne, je joue à lancer des cailloux dans l’eau espérant faire des ricochets. Un caillou atteint un gros tube métallique qui sort de l’eau dans un fracs métallique incroyable. Aussitôt une lumière apparaît sur la rive opposée. S’éteint, se rallume. Des silhouettes s’agitent. Un code, dirait-on. J’ai envie de crier désolée, je ne l’ai pas fait exprès. Mais ma voix ne portera pas si loin. Ce micro événement m’inquiète et plus encore l’ombre qui se dresse derrière les barrières alors que nous tournons nos derniers plans. Il fait nuit depuis longtemps, et personne ne nous voit ni ne nous entend ici. Nul ne s’intéresse à ce qui peut se passer dans un tel endroit. Cela n’a rien de rassurant. Nous remballons rapidement et retournons prendre le métro.

 

 

 

 


 

Londres, 16 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous quittons Londres pour Manchester aujourd’hui. Avant de prendre le bus, nous avons rendez-vous avec Chiara Ambrosio que nous avons rencontrée au concert de Tuxedomoon. Chiara est cinéaste et artiste. Elle est aussi adorable. Lorsqu’elle arrive au café de la librairie Foyles où nous avons rendez-vous, nous sommes en pleine catastrophe. La réception de l’hôtel dans lequel nous avons réservé à Manchester sera fermée à notre arrivée. Impossible de convaincre l’employée de nous ouvrir ou de laisser les clefs à un commerçant du quartier. Moi qui étais fière d’avoir trouvé l’hôtel le moins cher de Manchester, je déchante… Heureusement Chiara se saisit de son téléphone et négocie avec l’hôtelière. Nous serons remboursés. A nous de trouver un autre hébergement pour la nuit. Je pianote sur mon ordinateur. La plupart des hôtels sont pleins. Finalement je trouve une chambre bon marché dans un hôtel de luxe. Ses ors nous paraissent fort accueillants lorsque nous arrivons à 23h00, après un long voyage en bus.

 

Cependant l’aide de Chiara ne s’arrête pas à la logistique hôtelière. Elle nous parle de plusieurs personnes de sa connaissance qui pourront nous aider dans nos recherches. Elle mentionne notamment la cinéaste Andrea Luka Zimmermann qui a réalisé un film intitulé Estate, a reverie sur la cité de Haggerston, au nord est de Londres, que les autorités ont laissée se délabrer puis ont détruite pour construire des logements plus rentables.

 

Elle évoque également James Hesford, un compositeur qui a grandi dans une cité ouvrière du nord de l’Angleterre. Elle promet de nous mettre en contact avec chacun d’eux. Voilà qui facilitera notre prochain séjour.

 

Chiara nous parle aussi de Thames Mead, une cité particulièrement défavorisée située au sud de Londres, à l’extérieur de la ville. Il semble que les recoins et les passages que les architectes s’étaient imaginés comme favorables à la rencontre et au lien social, s’est révélée propice au deal et aux agressions. Chiara y a travaillé un moment et a lié connaissance avec un petit garçon de 9 ans qui lui a demandé ce qu’elle faisait là. Il ne voyait pour elle aucune raison valable de se trouver là puisqu’elle n’y vivait pas, et qu’elle avait le choix. Il n’y a rien ici, rien à faire ici, lui avait-il dit.

 

 

 

 

 


 

Manchester, 17 mai 2016

 

 

 

 

 

 

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Alexandre a fait de nombreux repérages lors de ses séjours précédents à Manchester. Certaines de ses images nous intéressent et nous souhaitons tourner des séquences sur les lieux afin qu’elles servent de décors à notre spectacle. Nous partons donc de bon matin avec notre matériel de prise de vue.

 

Nous avions choisi de filmer un vaste terrain vague situé sur la rive de l’Irwell. Alexandre nous emmène sur place. Plus de terrain vague, mais un immense chantier, et un hôtel a poussé tel un champignon juste à côté, bouchant la vue sur l’autre rive. Nous ne nous laissons pas décourager et entrons sur le chantier pour voir s’il serait tout de même possible de tourner un plan. Un ouvrier nous circonscrit rapidement. Je lui explique la raison de notre présence, et exprime ma stupéfaction devant tant de changements en si peu de temps. Le changement est la seule constante ici-bas me répond-il.

 

Forts de cette maxime d’une portée philosophique indiscutable, nous poursuivons notre chemin. Le pont sous lequel nous voulions filmer est maintenant cerné de plusieurs grilles. Il est inaccessible. Nous marchons ainsi toute la journée à travers la ville, mais chaque fois que nous parvenons quelque part, la topographie a changé au point que tous nos repérages s’avèrent caduques.

 

Cela ne nous arrange guère car nous repartons demain pour Genève.

 

 

 

 

 

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Londres, 1er juillet 2016

 

 

 

 

 

Retour à Londres. Cette fois, nous logeons à Brick Lane.

 

C’est dans ce quartier d’East London que Jack London est venu à la rencontre du peuple de l’abîme en 1902. C’est aussi ici que se déroule Salaam London de Tarquin Hall, qui a séjourné pendant un an en face de la boutique de Bagels au début des années 2000.

 

Il ne reste rien de l’abîme décrit par London, et on ne peut le regretter. On ne peut non plus pleurer les ateliers clandestins, les logements insalubres et la violence ambiante tels que les décrits Tarquin Hall. Je me demande cependant où sont passés les Bangladais et les Pakis, les Juifs et les réfugiés venus de tous les horizons qui habitaient encore ici il y a une dizaine d’années. La faculté de nos gouvernants à faire disparaître les pauvres de la vue du bourgeois tient décidément de la prestidigitation.

 

Car aujourd’hui ne demeure guère du Brick Lane de Tarquin Hall que les boutiques de Bagels et quelques épiceries de nuit off licence. Quelques sans abris se rencognent dans les allées, mais  le processus de gentrification est maintenant accompli et les boutiques de vêtements chics voisinent avec les galeries, les cafés branchés et les magasins de produits de beauté bio… dès 18h00 une foule de bobos se presse au Howl and Pussycat, un des plus vieux pubs de la ville.

 

 

 

 

 


 

Londres, 2 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Londres, 3 juillet 2016

 

 

 

 

 

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Nous regardons Estate, a reverie, un film réalisé par Andrea Luka Zimmermann à propos de la cité dans laquelle elle habitait, qui a été détruite suite à un projet de développement du quartier de Haggerston.

 

Le film porte bien son nom. A mi-chemin entre le documentaire, puisque les habitants y sont interviewés dans leur ancien logement, et de la fiction avec des passages dans lesquels les habitants revêtent des tenues d’époque pour lire des extraits des romans de Samuel Richardson, car les architectes s’étaient inspirés des noms de ses personnages pour baptiser les immeubles de la cité.

 

 

 

 

 

 


Londres, 4 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Loïk et Ioana sont de passage dans l'appartement où ils logeront dès la rentrée. Ils viennent poursuivre leurs études à Londres et nous logent gentiment le temps de notre séjour.

 

Nous retrouvons Andrea dans le hall de Central Saint Martins School, l’école d’art dans laquelle elle enseigne. Il faut remplir des formulaires et passer un sas de sécurité gardé par un agent.

 

Andrea nous guide jusqu’à la salle des profs. Elle n’a que peu de temps avant son prochain cours. J’explique notre projet, qui tient comme son film à la fois du documentaire et de la fiction. Andrea nous écoute et nous observe de son regard perçant. Elle nous donne les noms de plusieurs personnes qui devraient pouvoir répondre à nos questions. Elle nous en fournira les contacts par mail. Nous prévoyons aussi de nous recroiser vendredi prochain. Nous pourrons ainsi lui raconter l’avancée de notre travail.

 

Elle nous recommande d’aller assister à la représentation de l’adaptation théâtrale de Cathy come home de Ken Loach mise en scène par Cardboard Citizens qui a lieu demain. Sur le chemin du retour, nous faisons un crochet par le Barbican pour acheter des billets. Alexandre en profite pour prendre des images de cet ensemble architectural incroyable.

 

 

 

 

 

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Londres, 5 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Comme Andrea, James Hesford fait partie des personnes que Chiara nous a recommandé de contacter de sa part. James est compositeur, il a grandi à Moltby, un petit village du Yorkshire rendu célèbre par les manifestations qui y ont eu lieu lors de la fermeture des mines. C’est aussi dans ce village qu’a vécu Ken Loach. Il y a d’ailleurs tourné l’un de ses premiers films, Kes.

 

James a été initié à la musique par ses oncles qui jouaient dans les clubs de la régions. Il est ensuite parti en tournée en Allemagne jouant dans les bases aériennes américaines. A son retour, il a essayé de faire un job normal. Le résultat s’est rapidement révélé catastrophique car il passait ses nuits à jouer dans toutes les salles possibles du Yorkshire. Il a donc été viré et a décidé de partir tenter sa chance à Londres. Il a rejoint la capitale en stop avec 5£ en poche. James a alors dormi dans un parc, puis a trouvé asile dans une communauté, jouant dans la rue pour gagner un peu d’argent, avant de rencontrer celle qui deviendrait sa première épouse. Cette jeune fille venait d’une bonne famille. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé au bal des débutantes. James explique qu’alors les milieux sociaux étaient moins cloisonnés qu’ils ne le sont aujourd’hui. On pouvait passer aisément d’un milieu à l’autre. James a vite trouvé du travail, et étudié la musique. Aujourd’hui il compose des musiques pour le cinéma, la télévision et le théâtre.

 

James me raconte aussi les changements qu’il a observés au Yorkshire après la fermeture des mines. Les hommes qui travaillaient dans les mines avaient des opinions politiques très marquées par les idéaux socialistes. La notion de communauté étaient forte. Lorsque les mineurs se sont retrouvés au chômage, leurs principes ont périclité et certains en sont arrivés à défendre des idées proches du nationalisme. James a aussi pu observer la dégradation de leur état de santé. Ces travailleurs de force ont continué à boire et à manger bière et mash potatoes, steack and kidney pie et fish and chips comme ils l’avaient toujours fait, mais ne pratiquaient plus d’activité physique. Leurs corps ont été mis à mal par ce régime qui leur convenait si bien autrefois et les maladies cardiovasculaires ont eu raison de nombre d’entre eux.

 

Comme prévu nous allons ensuite au Barbican pour assister à la représentation de Cathy come home par la troupe des Cardobard citizens

 

Une longue rangée de chaises, des manteaux, un écran vidéo sur lequel se dessinent à traits grossiers comme au crayon, les différentes étapes de la dépossession dont sont victimes Cathy et sa famille. Voilà la décor dans lequel évoluent une vingtaine de comédiens. Les scènes sont entrecoupées de chansons et de danse, mais comme dans les tragédies classiques, l’issue est inéluctable et les efforts faits pour l’éviter totalement vains.

 

Le hasard nous a placés juste derrière Ken Loach qui est venu voir le spectacle et participe au débat qui se tient après la représentation. Le premier constat est le suivant : en 50 ans, la situation n’a guère évolué, et les familles sans logis sont légions, sans parler des mal logées, qui sont monnaie courante à Londres, tant les loyers ont exorbitants.

 

J’en retiens une idée forte, celle que nous avons tous perdu notre maison, cette idée d’un chez soi qui a été remplacée par celle d’investissement. L’un des intervenants utilise un raccourci saisissant en résumant la situation ainsi, nous n’habitons plus des maisons, mais des tirelires, dont les propriétaires essaient de sortir le plus d’argent possible.

 

Le plus insupportable de tout cela c’est qu’il y a bel et bien des logements vides Londres, par exemple à Newham, où le Council chargé du logement déloge les habitants pour les repousser en lointaine banlieue. C’est le développement du quartier qui est en jeu, sa régénérations comme on dit ici. Peu importe que les plus pauvres se retrouvent loin de leurs amis, familles, emplois… donc plus fragiles encore qu’ils ne l’étaient.

 

 

 

 


 

Londres, 6 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Londres, 7 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Je suis malade. Un virus a eu raison de moi. Il attaque mes poumons avec virulence et je tousse à longueur de journée, jusqu’à l’épuisement. Apparemment la pollution atmosphérique atteint des niveaux records en ce moment à Londres, malgré le vent qui balaie continûment la ville. Hier j'ai remarqué dans le métro des affiches de Greenpeace invitant les Londoniens à signer une pétition par SMS pour convaincre le maire de Londres de faire respecter les taux de pollution légaux. Sans effet notable semble-t-il.

 

Je reste au lit tout le jour, tandis qu’Alexandre part faire des repérages à Haggerston, le quartier où Andrea Zimmermann a tourné son film Estate, a reverie.

 

 

 

 

Anohni

 

 

 

Le soir venu, je me bourre de sirop et de pastilles avant de partir pour le Barbican pour assister au concert de Anohni. Nous comptons utiliser certains de ses morceaux pour le spectacle. Sur scène, un immense écran sur lequel sont projetés des visages, majoritairement des visages de femmes qui chantent en play back, tandis qu’Anohni leur donne sa voix en direct. Il / elle est vêtue d’une longue soutane à capuche agrémentée d’un voile qui masque son visage qui la fait ressembler à un moine médiéval. D’autres visages incarnent à sa place les chansons d’Hopelessness. Ce sont des femmes de tous âges et de toutes couleurs de peau, filmées en gros plan qui donnent lʼimpression de chanter les chansons, Anohni synchronisant sa voix aux mouvements de leurs lèvres. Elles semblent souvent désespérées, alors qu’elles livrent d’affreux constats sur lʼétat du monde. Désastre écologique (4 Degrees, Why Did You Separate Me From the Earth ?), terrorisme dʼétat (Drone Bomb Me), défiance envers une Amérique qui ne cesse dʼavoir du sang sur les mains (Execution, Crisis)...

 

De part et d’autre de l’écran, Daniel Lopatin – alias Oneohtrix Point Never, co-réalisteur et compositeur de l’album, avec le producteur Hudson Mohawke – et Christopher Elms (collaborateur de Björk) jouent du laptop.

 

Il n’y a pas de salut, pas de rappel, Anohni laisse le mot de la fin à une vieille Aborigène, Ngalanka Nola Taylor : «Quʼarrive-t-il à la terre ? Tout est chamboulé».

 

 


 

London, 8 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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A l’invitation d’Andrea, rencontrée il y a deux jours, nous nous rendons au Close up https://www.closeupfilmcentre.com/. C’est un petit cinéma indépendant qui diffuse des films surprises à l’occasion de son premier anniversaire. Andrea présente le film de ce soir. Après la projection, nous nous retrouvons au bar. Assez vite, tous les clients se rassemblent autour d’une seule table et discutent ensemble. Le Brexit occupe une grande part des conversations de nos compagnons. Andrea nous raconte que pour la première fois depuis 26 ans qu’elle habite à Londres une vieille dame lui a fait savoir qu’elle devait rentrer chez elle, c’est-à-dire en Allemagne. Comme  si le Brexit avait soudain donné une voix au nationalisme. Elle en a les larmes aux yeux.

 

Le Close up est dirigé par Damien, un Français venu s’installer à Londres il y a 16 ans. Il connaît très bien la ville et les rouages de la société anglaise. Il apparaît bien vite comme une mine d’informations pour notre projet. Il est partant pour une interview. Nous nous nous verrons lundi.

 

 

 

 


 

London, 9 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous repartons sur les traces des personnages de Zadie Smith et reprenons la fin du parcours qu’elle décrit dans son roman de Hampstead Heath au pont de Hornsey Lane. Dans Hampstead Heath, nous trouvons une cabane, dans laquelle je ne peux m’empêcher d’imaginer Ella et Alan s’abriter un moment, comme des enfants sauvages. Plus loin, un arbre immense est tombé, couché sur le flanc, magnifique et inquiétant, nous tournons autour et je me dis qu’il peut constituer un symbole du rapport de ces citadins avec la nature. Fascinés mais décidément étrangers et maladroits dans cet univers.

 

 

 

 

 

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London, 10 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous nous rendons à Newham pour assister à une manifestation organisée par Focus E15. Il s'agit d'un groupe de femmes, des mamans surtout, qui luttent contre le nettoyage social, ou social cleansing en cours dans leur quartier. Elles sont une dizaine rassemblées devant la mairie, coincées sur le trottoir, tandis que les voitures passent avec indifférence et que les passants contournent leurs pancartes et les tables qu’elles ont disposées. Elles gardent pourtant sourire et énergie pour crier chaque semaine et exiger du maire de Newham qu’il fasse construire des logements sociaux.

 

Annah nous accueille très amicalement, son énergie est contagieuse et je me retrouve munie d’un fanion que j’agite en criant moi aussi SOCIAL HOUSING NOT SOCIAL CLEANSING.

 

Vers 16h00, le petit groupe se déplace et se dirige vers un ancien bâtiment de la police, dont les portes et les fenêtres ont été condamnées. Des activistes sont montés jusqu’aux balcons du premier étage et y ont fixé des banderoles. Une voiture de police arrive immédiatement et se gare sur le trottoir opposé. Une seconde la rejoint, mais aucune intervention n’a lieu jusqu’à notre départ.

 

Nous traversons Londres pour aller à Brixton, au sud de la ville. C’est là qu’habite John, qui organise un concert chez lui ce soir. Sa maison ne se différencie pas de celles qui bordent cette rue résidentielle parallèle à la voie ferrée et nous hésitons d’abord à entrer, mais c’est bien l’adresse indiquée alors nous dépassons notre timidité première.

 

Nous sommes accueillis par la maîtresse des lieux, qui nous fait visiter la maison et le jardin à l’arrière. La table de la cuisine est recouverte de victuailles. Vin et bière coulent à flots. Très vite, tout le monde parle avec tout le monde dans un joyeux début d’ivresse apéritive.

 

 

 

 

 

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Enfin le concert de Bird Radio commence. Corps arqué, voix tendue, Mikey entame le premier morceau. Il chante et joue de nombreux instruments dont la guitare et la flûte. Il utilise aussi un looper et des effets.  Il y a quelquechose de la ballade irlandaise dans la musique de Mikey, mais elle est chargée de tant de rage et d’émotion que toute trace de pittoresque en est gommée. Son interpétation de la comptine anglaise Who killed Cock Robin est à cet égard vraiment impressionnante. Par hasard je suis assise tout près de l’espace scénique, à ses pieds et je suis complètement subjuguée par sa performance.

 

Après le concert, j’apprends qu’il multiplie les concerts et les performances dans des lieux aussi improbables que ce salon. Ce concert clôt d’ailleurs le Living Room Tour qu’il a entamé avec le groupe Bones and the Aft, dont John Bently, parolier et chanteur est le leader. Fort heureusement Tous deux jouent aussi dans des lieux plus institutionnels.

 

J’avoue que je suis moins disponible pour la deuxième partie du concert, dont Bird Radio n’était censément que la première partie. Malgré l’énergie de John, malgré la poésie de ses textes et sa présence scénique, je quitte le salon dans lequel le public se presse et je vais admirer le soleil couchant dans le jardin.

 

Je suis impressionnée par l'esprit d'initiative dont font preuve les artistes ici. Il n'y a pas de scène trop petite, pas d'acoustique médiocre, pas de mauvaises conditions d'accueil. Ils jouent là où ils le peuvent. Le plus souvent possible. Ils jouent et ils vendent leurs disques et leurs livres sans complexe, pour rentabiliser la soirée.

 

Après le concert, nous retrouvons Chiara dans le jardin. Nous partageons nos sentiments sur ce que nous avons entendu et très vite, avec la générosité qui la caractérise, elle nous propose de loger chez elle lorsque nous reviendrons au mois d'août. L'offre est inespérée. Nous acceptons aussitôt, terriblement soulagés de trouver un gîte si facilement dans une ville où le logement est si problématique.

 

 

 

 

 

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En fin de soirée, alors que nous regagnons la station de métro pour regagner notre logis, nous croisons des foules en délire. Les voitures klaxonnent, filent à toute vitesse tandis que leurs passagers agitent des drapeaux par les fenêtres. L’équipe du Portugal a remporté l’Euro de football. Retour au réel.

 

 

 

 


 

London, 11 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

Damien

 

 

 

 

 

 

Nous allons au Close up vers midi pour interviewer Damien, qui en est le directeur. Damien est français, établi depuis bien longtemps à Londres. Il n’envisage pas d’en partir malgré le climat délétère qui règne dans la capitale anglaise depuis le Brexit.

 

Ce moment que nous offre Damien malgré son emploi du temps surchargé et une bronchite qui refuse de se laisser soigner est très précieux pour nous. Les informations fournies par Damien sur l’histoire sociale récente de l’Angleterre sont éclairantes. Il évoque notamment l'envolée des prix de l’immobilier qui n’a pas cessé depuis les années 1980. Afin de réduire les dépenses liées à l’entretien du parc de logements sociaux dont disposait l'Angleterre, Margaret Thatcher avait opéré une réforme du droit visant à ce que chacun devienne propriétaire de son logement. Nombre de ménages achetèrent la maison ou l’appartement qu’ils habitaient. L’apport financier pour l’Etat fut conséquent. Mais le parc de logements sociaux se réduisit d’autant, ce qui rendit la situation plus difficile encore pour la frange la plus fragile et la plus démunie de la population. Autre conséquence, les familles qui avaient investi dans la pierre parfois au prix d’importants sacrifices souhaitent un retour sur investissement et un bénéfice conséquents lorsqu’ils revendent ledit logement. Londres ne cesse d’attirer de nouveaux habitants, qui sont prêts à payer le prix fort pour s’installer dans la capitale anglaise. Eux aussi achètent se serrent la ceinture et souhaitent faire des bénéfices. Un cycle infernal d’augmentation constante est lancé. Il est encore renforcé par les grandes compagnies privées qui achètent des quartiers entiers en profitant de la législation anglaise qui impose au même taux le petit propriétaire qui achète un logement pour lui-même et sa famille et la multinationale qui n’achète que pour spéculer. Ainsi des logements sont laissés vides en attendant que les prix augmentent encore tandis que Londres est remplie de mal logés et de sans abris.

 

 

 

 

 

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Après cet entretien, nous partons pour Bromley-by-Bow afin de tourner des séquences pour le spectacle. Nous souhaitons profiter de la lumière du soir, malheureusement les joggers, les promeneurs et les amateurs de pique-nique semblent eux aussi la trouver à leur goût. 

 

 

 

 

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Londres, 12 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

David

 

 

 

 

 

 

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Bartlett School of architecture. C’est là que nous rencontrons David Roberts, le collaborateur d’Andrea Zimmermann pour Estate, le livre, puis le film. Il nous explique comment à la faveur de ce travail avec Andrea, il a été contacté par des locataires de la Balfron Tower. Comme les habitants de Haggerston, ils se voyaient contraints de quitter leurs logements et souhaitaient eux aussi documenter de manière sensible la dépossession dont ils étaient victimes.

 

Cela se passait en 2012 et David croyait naïvement que son soutien consisterait essentiellement en un recueil de témoignages. Il était loin de se douter que son travail se muerait en résistance farouche, à la recherche de tous les recours possibles pour éviter la privatisation de la tour. Avec un groupe de locataires, il est même parvenu à faire classer le bâtiment, allant jusqu’à prouver que la privatisation constituait une trahison majeure du projet architectural et social du socialiste convaincu qu’était l'architecte Ernö Goldfinger. Ils ont aussi mis en évidence les mensonges de la gérance immobilière qui continuait de promettre aux habitants qu’ils pourraient retrouver leur appartement après la rénovation alors qu’elle savait pertinemment que ce ne serait pas le cas. En vain. Les logements sociaux ont été vidés de leurs habitants. Les appartements encore occupés le sont maintenant par des « guardians » dotés de baux provisoires, comme Wolfie et Neil que nous avons rencontrés l’hiver dernier. Tous ces baux expirent à la fin du mois de juillet. Au 1er août, la tour sera vide. Les travaux pourront commencer.

 

 

 

 

 

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Londres, 13 juillet 2016

 

 

 

 

Repérages à Shoreditch et à Liverpool Street.

 

 

 

 

 

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London, 14 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous retournons à Hampstead Heath pour tourner des séquences dans le parc. Nous souhaitons intégrer une scène dans laquelle Alan et Ella se réfugient dans la nature et nous sommes fascinés par l’arbre mort tombé à proximité de l’entrée de Kenwood Park. Nous réalisons des travellings en tournant autour de la souche immense et de ses ramifications, branches et racines à présent hors de terre.

 

Nous retrouvons aussi une cabane en forme de tipi, appuyée contre le tronc d’un arbre. Nous filmons de nouveau. Cet abri de fortune est magnifique dans la lumière changeante de la fin d’après-midi.

 

Il faut bientôt regagner nos pénates : ce soir, nous rentrons préparer à dîner pour  toutes les personnes qui nous ont aidés pendant ce séjour. Chiara et Mikey, Andrea, David, Damien… Pour finir seules Chiara et Andrea peuvent venir. A Londres, les gens sont très occupés et les déplacements longs et coûteux en transports en commun. Cela pèse sur la vie sociale, mais pas sur notre humeur. La soirée est magnifique et drôle, même si nos invitées sont passablement préoccupées. Chiara est italienne et Andrea est allemande. Aucune des deux ne sait ce qu’il adviendra de leur statut légal en Angleterre à l’horizon 2018, alors qu’elles y vivent et y travaillent toutes deux depuis de longues années.

 

 

 

 

 


 

London, 15 juillet 2016

 

 

 

 

 

 

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Londres, 10 août 2016

 

 

 

 

 

 

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Arrivée plutôt chaotique à Londres. Nous errons à Gatwick Airport dans l’espoir d’un train qui nous conduira à London Bridge, mais tous sont annulés les uns après les autres. De guerre lasse, nous partons pour Victoria Sation sans trop savoir quel itinéraire suivre désormais pour arriver chez Chiara et Mikey qui nous prêtent gentiment leur appartement à Stoke Newington. Comme toujours en pareille circonstance, les Londoniens font preuve d'un flegme extraordinaire. Comment font-ils ? Il peut soudain devenir si difficile de rentrer chez soi, ou d'aller au travail qu'on peine à croire  qu'une organisation familiale puisse y survivre. Et les employeurs sont-ils ici plus compréhensifs sur la question des retards qu'ailleurs ? Heureusement James, dont la mission initiale consistait simplement à nous donner les clefs fait un radioguidage hors pair.  Nous le rejoignons à North Church Road sur le coup de 2h00 du matin au lieu de minuit comme escompté. Il nous serre dans ses bras et appelle un taxi qui nous pose devant la maison quelques minutes plus tard.  Il est presque 3h00 lorsque nous nous écroulons ivres de fatigue au fond du lit.

 

Pour la petite histoire, nous connaissons James depuis notre passage précédent à Londres. Nous avions réalisé une interview avec lui car il est originaire d'une petite ville de la région de Sheffield. Devenu musicien et écrivain, il vit désormais à Londres depuis de longues années. Il m'a offert un roman autobiographique qu'il a écrit concernant son enfance et les nombreuses expériences qu'il traversa jusqu'au moment de pouvoir acheter sa première guitare. Je suis en train de le lire et j'aime beaucoup la vivacité de son texte et la manière dont il redonne vie au petit garçon qu'il fut. Comme le monde est petit, James est aussi un ami de Chiara.

 

Après une bonne nuit de sommeil, nous partons visiter le quartier très turc dans lequel nous avons atterri avant de retrouver Pierre, le comédien qui jouera le rôle d’Alan. C’est un hasard qu’il soit à Londres en même temps que nous. Un hasard heureux car nous n’avons pas revu Pierre depuis la reprise qu'il a faite de Marzahn à la Chaux-de-Fonds et les contacts que nous avons eus depuis lors ont été plutôt sporadiques. Mais ce soir Pierre est là, passablement fatigué par la journée de stage qu’il vient de terminer mais dont le contenu le passionne. Nous le mettons au courant des dernières évolutions de l’écriture du spectacle, des rencontres que nous avons faites, de l’avancée du texte et des choix esthétiques que nous sommes en train d’opérer. Nous buvons aussi une bière assis sur les marches de la  maison, tandis que le soir tombe.

 

 

 

 

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Londres_11 août 2016

 

 

 

 

 

Thamesmead est une vaste cité située au sud de Londres. Elle doit sa notoriété au fait que Stanley Kubrick y a tourné Oranges Mécaniques. Fascinés par son architecture, nous avons envie de nous y rendre depuis longtemps.

  

  

   

 

 

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Comme son nom l’indique, la cité a été construite dans les méandres de la Tamise. Des lacs s’étendent entre les immeubles. Des cygnes, des oies des canards naviguent là en toute quiétude. Dans la lumière dorée de l’après-midi, il se dégage de l’ensemble une atmosphère d’harmonie à laquelle nous ne nous attendions pas. C’est aussi une des premières fois que visitons une cité habitée, vivante. Un vieille dame fume une cigarette sur son balcon. Les enfants jouent. Les hommes rentrent du travail. Les bikers papotent avec les pêcheurs… La vie se déroule là aussi simplement qu’ailleurs.

 

Mon attention se fixe cependant sur certains détails qui peuvent donner à penser que cette douceur est peut-être trompeuse. La première est qu'il nous a fallu une heure et demie pour parvenir ici depuis le centre de Londres, alors qu'aucune panne, grève ou accident n'était à signaler sur le parcours. Cela représente aussi 3,50£. C'est-à-dire 7£ aller et retour. Si l'on multiplie par le nombre de jours travaillés par semaine, il s'agit d'un budget plus que conséquent. Autre point notable, la population est très majoritairement noire, ce qui donne à l'ensemble des airs de guetto. 

 

Mais ce quartier aussi voit poindre la mutation sociale, voire la gentrification. La bibliothèque et les immeubles voisins vont être détruits. Ils sont déjà murés et grillagés.  Des agents de sécurité accompagnés d’énormes chiens patrouillent pour dissuader quiconque d’entrer. Dans quelque temps ces bâtisses seront remplacées par des tours dotées de baies vitrées qui accueilleront une population plus aisée qui empruntera la future ligne de train qui est déjà en construction. Elle permettra d'atteindre la City en 20 minutes.

 

Il se fait tard, à l’arrêt de bus où j’étudie le plan, une voix s’élève : vous avez besoin d’aide ? Pas vraiment, mais la conversation s’engage. La femme qui nous propose sa collaboration a grandi à Lyon. Elle y a fréquenté l’Ecole Internationale avant de faire une école de commerce. Constatant qu’elle ne trouvait pas de travail à cause de sa couleur de peau joliment chocolatée, elle est partie pour l’Angleterre ou elle a semble-t-il trouvé un emploi qui lui convient. Elle est enthousiaste concernant le système universitaire anglais, et nous explique qu’il permet d’évoluer dans la société très librement et simplement. Il est vrai que cette jeune femme est brillante, diplômée de deux écoles de commerce, cultivée et qu'elle parle cinq langues, dont le chinois, bien utile quand on fait du commerce aujourd'hui s'amuse-t-elle. Elle trouve en Angleterre un terrain où développer et faire fructifier ses nombreuses compétences, et d'après elle, la France donne peu la possibilité à de telles personnalités de s'épanouir.

 

Selon notre compagne de voyage, le Brexit est une conséquence de l’arrivée massive des Européens de l’Est en Angleterre, qui avec leurs familles nombreuses et leurs problèmes de santé rendent l’accès  aux prestations sociales et aux soins médicaux problématiques pour les Anglais de souche. Malgré la sympathie que j’éprouve pour elle, son discours me semble fort proche de celui des immigrés de la seconde génération qui trouvent que ceux q ui sont arrivés après eux sont de trop. Heureusement chacun repart de son côté avant que la conversation ne tourne mal. Nous nous hâtons de rejoindre Andrew à Finnsbury Park.

 

Nous ne l’avions pas revu depuis le mois de février. Il nous avait alors mis en contact avec plusieurs personnes que nous avions pu interroger. Il avait aussi accepté de répondre à une interview. Son parcours personnel croise en plusieurs points celui de nos personnages, et ses préoccupations ne sont guère éloignées des nôtres. Ainsi Andrew vient d’une petite ville minière du nord de l’angleterre. Issu d’une famille très modeste il a dû financer ses études grâce à des bourses et des petits boulots. A Londres, il a habité à la Balfron Tower et a subi le stress des courriers qui accordent ou refusent une prolongation du bail. Il connu cet état d’attente partagé par Neil et Wolfie qui vivent dans leurs appartements comme dans des halls de gare, sans parvenir à s’installer, comme suspendus dans l’attente. S’ils ne partent pas, c’est faute de moyen et d’opportunités. Les logements sont chers à Londres. Lors de cette première rencontre, la conversation  avait rapidement pris un tour très personnel. La générosité avec laquelle il s’était alors livré nous avait beaucoup touchés.

 

La collaboration devait se poursuivre en mai, mais Andrew avait alors disparu, cessant de répondre à nos messages pendant plusieurs semaines. Il nous avait finalement fait savoir qu’il traversait une période trop difficile pour pouvoir assumer le mandat que nous souhaitions lui confier.

 

Je suis heureuse de retrouver Andrew ce soir. J’étais très soucieuse pour lui et le voir toujours aussi souriant et gentil me rassure. Le récit qu’il me fait de ces derniers mois est pourtant assez noir. Suite à une rupture amoureuse, il a sombré dans une dépression très profonde. Quittant le logement qu’il partageait avec son ami, il s’est retrouvé sans logis et vit maintenant dans un foyer. Il est susceptible d’y rester jusqu’à ce que le Council lui octroie un logement social, ce qui peut prendre des années. Il nous conduit à son foyer et nous fait visiter sa petite chambre. Il l’a aménagée avec goût et malgré sa petite taille et les meubles basiques fourni par l’institution, on s’y sent à l’aise. Andrew trouve même son sort enviable, lorsqu’il le compare à celui de sa voisine, qui loge dans une chambre semblable avec ses trois enfants.

 

Comme lors de notre rencontre précédente, je suis séduite par son énergie vitale et son optimisme, à la mesure des difficultés qu’il traverse.

 

 

 

 

 


 

Londres, 13 août 2016

 

 

 

 

 

 

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Les femmes de Focus E15 manifestent chaque samedi à Stratford. Elles ne sont pas nombreuses aujourd’hui, mais leur énergie et leur ténacité sont aussi impressionnantes que lorsque nous les avons rencontrées le mois dernier. Hannah me serre dans ses bras. Je pars en vacances demain dit-elle. Il n’y aura pas moyen de la voir avant notre retour à Genève. Mais Janice et Jasmine tiendront la permanence mardi, vous pourrez allez les voir. Elle nous présente l’une et l’autre. Bien sûr, passez donc mardi ! Je me réjouis beaucoup de cette rencontre qui va me permettre de recueillir des informations sur les modes d’action envisageables lorsqu’on veut défendre des logements sociaux en Angleterre. J’en saurai aussi davantage sur le système d’aide sociale.

 

 

 

 

 

 


 

Cambridge, 14 août 2016

 

 

 

 

 

Nous allons à Cambridge voir nos amis Marie Danielle et Gérard. Gérard nous fait visiter la ville, et nous entrons même à Trinity College, où il a travaillé un temps. Lui aussi a trouvé son bonheur en Angleterre. Chercheur, il a renoncé à travaillé au CNRS en France parce que ses recherches l'amenait à travailler à la lisière de plusieurs disciplines. Ses travaux ne trouvaient leur place dans aucun laboratoire. Il aurait dû réorienter ses réflexions et laisser de côté un champ important de sa recherche pour se conformer aux us et coutumes de la recherche française. Il préféré s'exiler à Cambridge, où la hierarchie et les cadres préétablis se sont révélés moins contraignants qu'en France. Son expérience me rappelle terriblement celui de la jeune femme que nous avons rencontrée en quittant Thamesmead il y a quelques jours. 

 

La conversation se porte ensuite sur la justice. Pas de code pénal ici, mais la jurisprudence. La loi ne préexiste pas en tant que cadre. Elle résulte du travail des juges au fur et à mesure que les problèmes se présentent. Elle est en construction permanente. Voilà qui m'éclaire sur la société anglaise et sa malléabilité, sa propension au changement.

 

Nous évoquons avec l'un et l'autre notre travail sur l'Angleterre, nos questions, nos doutes. Nous avons apporté notre maquette de la scénographie de Royaume, un petit projecteur vidéo, un ordinateur  et les disques durs contenant nos photos et nos séquences vidéos. Nous leur confions nos interrogations concernant les proportions de nos images et la taille de nos personnages, car nous sommes parfois surpris de la taille des décors par rapport à ces derniers qui se retrouvent tantôt géants, tantôt nains, sans que nous comprenions bien pourquoi.

 

En bon scientifique, Gérard nous rappelle les règles de la perspective linéaire. L’horizon doit se trouver à la hauteur des yeux de nos comédiens, qui se tiendront debout sur le plateau. Sachant que notre projection mesurera 4,50 m de haut et que Claire et Pierre mesurent entre 1,60 m et 1,70 m, il suffit de faire un rapide calcul pour savoir à quelle hauteur placer cette ligne dans le viseur de l’appareil d’Alexandre.

 

En bonne artise, Marie Danielle nous rappelle que toute règle appelle à sa propre subversion.

 

Nous repartons pour Londres munis de ce viatique. Tout cela paraît fort simple et nous voilà tout rassérénés. Nous ferons des essais dès demain.

 

 

 

 

 

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Londres_16 août 2016

 

 

 

 

Comme convenu samedi dernier, nous retrouvons Janice et Jasmine au Silvia’s Corner, non loin du Stratford Center. Il s’agit d’un petit local rempli de femmes et d’enfants où elles tiennent la permanence de Focus E15 chaque mardi. Elles y accueillent les gens du quartier qui ont des problèmes de logement. Leurs préoccupations sont variées : certains sont logés dans des appartements trop petits ou insalubres. Les propriétaires négligent parfois d’effectuer des rénovations ou des réparations nécessaires dans les logements. D’autres sont en conflit avec leur propriétaire ou le Council qui gère le maigre parc de logements sociaux, d’autres encore craignent de se retrouver à la rue, lorsqu’ils ne le sont pas déjà. Focus E15 les aide à trouver des solutions, mais surtout à lutter contre les propriétaires abusifs et les dérives du Council.

 

 

 

 

 

 

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Nous commençons par interroger Janice. Cette femme au regard bleu âgée d’une cinquantaine d’années explique que les difficultés de logement touchent plusieurs de ses enfants. Son fils aîné, âgé de plus de 30 ans vit encore chez elle avec son propre fils car son salaire ne lui permet pas de payer un loyer dans le parc privé. Il a déposé un dossier de demande de logement au Council. Quoiqu’il remplisse tous les critères d’éligibilité en tant que père célibataire, son dossier se retrouve constamment en bas de la pile : il n’est pas prioritaire car il vit chez Janice qui dispose d’un appartement assez vaste pour l’accueillir. Le fait que cette situation ne soit guère satisfaisante pour qui que ce soit importe peu…

 

Janice me raconte l’histoire de Focus E15 campaign. Celle-ci a débuté en septembre 2013 lorsque plusieurs jeunes mères logées au foyer Focus E15  ont reçu des avis d'expulsion de l’East Thames Housing Association. C'était la conséquence d'une réduction du financement apporté par le  Council de Newham. Les jeunes mamans logées dans ce foyer dédié aux moins de 25 ans mères ont été informées qu’en raison du manque de logements sociaux à Londres, elles devraient accepter de déménager à Manchester, Hastings ou Birmingham si elles voulaient être relogées. Les jeunes mères ont alors décidé de s’organiser et d'exiger des appartements à Londres. Elles n’ont pas hésité à utiliser la manière forte pour être entendues : manifestations hebdomadaires à Stratford, occupation du bureau du logement du Council de Newham. Leurs actions attirent l'attention sur le fait que les gens sont forcés de quitter Londres en raison du montant exorbitant des loyers alors que des milliers d’appartements sociaux sont vides. Elles ont même occupé un appartement témoin du village olympique de Londres et l’ont ouvert au public comme un centre social pendant deux semaines, y proposant des ateliers, des réunions, de la musique et des concerts. Elles puisent une partie de leur force du fait que les médias les soutiennent et que des avocats acceptent de travailler bénévolement pour leur cause. Il les conseillent aussi afin qu’elles ne dépassent pas les limites de la légalité.

 

Un petit film publié sur le site du Guardian retrace leur épopée

 

 

 

 

 

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Jasmine est aujourd’hui âgée de 22 ans. Elle faisait partie des jeunes mamans visées par les expulsions. Sa première initiative face à l’avis d’expulsion a été d’aller frapper aux portes de ses voisines. Soutenue par sa mère, elle mène depuis lors une lutte sans faille contre ce qu’elle vit comme une injustice extrême. Janice, quant à elle, a fortement contribué à unir les jeunes femmes lorsqu’elle a réalisé que nombre d’entre elles n’avaient pas comme sa fille la chance d’être soutenues par leur famille. Se représenter ces adolescentes déjà mamans seules avec leurs bébés sur les bras, c’était davantage qu’elle ne pouvait en supporter. Aujourd’hui elle tient régulièrement la permanence de Focus E15 campaign au Silvia’s Corner et manifeste tous les samedis devant le centre commercial de Stratford.

 

 

 

 

 

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Lorsque la rencontre avec Jasmine s'achève, le petit Christian nous annonce que maintenant, c'est son tour. Lui aussi veut faire une interview. Il espère passer à la télé et je dois lui faire comprendre qu'il n'en sera rien cette fois-ci. Christian est le petit-fils de Janice. Il est âgé d'une dizaine d'années. Je lui pose quelques questions, me disant que ses réponses pourront m'aider à imaginer les enfances anglaises de Ella et Alan, les deux personnages de Royaume. Il nous raconte ses jeux, ses envies, son école et ses soucis. Lui n'a pas l'air malheureux d'habiter chez sa grand-mère !

 

 

 

 

 

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Après cette belle rencontre, nous partons pour Thamesmead. Nous nous égarons une fois de plus, et le trajet dure plus que de raison, mais pour finir, nous  parvenons à tourner quelques plans. Nous filmons l’un d’entre eux devant le lac artificiel de Southmere. Le trajet de retour est long, nous arrivons à Stoke Newington épuisés à minuit passé après une heure et demie de trajet. On comprend aisément en quoi le fait d’habiter à Thamesmead  peut constituer un frein à l’emploi et une vraie limitation de la vie sociale.

 

 

 

 


Londres, 17 août 2016

 

 

 

Nous retournons à Thamesmead pour filmer de nouvelles séquences.

 

 

 

 

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La nuit, dans les rues de Stoke Newington, les renards circulent à leur gré.

 

 

 

 

 

 

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Londres, 18 août 2016

 

 

 

 

 

 

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Aujourd’hui nous allons à Shoreditch, y tourner les séquences pour lesquelles nous avons fait des repérages lors de notre séjour précédent. Pour chaque plan, nous essayons d’imaginer comment les personnages pourront se placer dans les images projetées. Il est bientôt temps de partir. Alexandre va aller saluer Loïk, chez qui nous avions logé en juillet. Nous repartons demain pour Genève où nous attendent de nouvelles étapes de travail. Je quitte Londres avec dans mon escarcelle un matériau de rencontres, de paroles et d’expériences assez riche pour poursuivre l’écriture du texte. La question des images est plus problématique. Nous devrons revenir filmer les séquences manquantes cet automne avant notre résidence aux Halles de Sierre au mois de décembre.

 

 

 

 

 


Londres, 17 novembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous découvrons la Green Way qui relie la S Circular Road à la Lionel Road. Nous explorons cette promenade rénovée depuis peu ainsi que les chemins de traverses qui conduisent. Nous retournons aussi à Canning town, ce coin de rien qui s'étend entre une bretelle autoroutière et la Lee qui nous fascine toujours autant.

 

 

 


 

Londres, 18 novembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Aujourd’hui nous avons rendez-vous avec Tim Newton, le cameraman qui va nous aider à réaliser les travelings que nous allons projeter sur le plateau.

 

Nous souhaitons tester avec lui une nouvelle caméra. Nous devons nous retrouver devant la gare de Stratford. Alors que nous nous demandons comment nous allons le reconnaître, nous apercevons un grand type chapeauté avec une caméra à la main. Difficile de le rater !

 

Une fois les présentations faites, nous partons dans le vent et le froid en direction du village olympique. Nous filmons les barrières, le paysage, en essayant d’ajuster les prises de vues à ce dont nous avons besoin pour que les proportions du décor soient réalistes par rapport à la taille des comédiens sur le plateau, avec un nouvel objectif, c’est une nouvelle gageure.

 

 


Londres, 19 novembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Anne a la gentillesse de nous rejoindre à notre hôtel de Stratford pour répondre à nos questions. Elles est avocate de formation, mais a décidé de changer de voie et vit maintenant à Londres pendant qu'elle étudie le cinéma à Central Saint Martins. Grâce à son expérience d'avocate, Anne a pu assister à des procès et nous raconte avec quelle dureté la justice s'exerce parfois. Elle nous confie notamment l'histoire d'un couple dont le mari bénéficie déjà de la nationalité anglaise tandis que l'épouse attend son permis de séjour. Ayant besoin de gagner de l'argent, elle a triché et utilisé le permis de travail d'une amie pour pouvoir faire un petit boulot qui lui a permis de gagner environ 1000 livres. Découverte et dénoncée par son employeur elle est condamnée à deux ans de prison. Le procès a pris une tournure particulièrement dramatique car la femme était enceinte, proche d'accoucher au moment du verdict.

 

Concernant la vie à Londres, Anne y perçoit beaucoup de solitude. La ville est vaste, les distances à parcourir pour se voir très longues, les transports en commun chers et chacun est pris par ces activités. Ceux qui s'en sortent le mieux n'ont ni le temps ni l'envie de se pencher sur le sort des moins chanceux. Elle évoque aussi des personnalités hors du commun, dont un des ses amis qui venant d'un milieu particulièrement défavorisé est devenu avocat et a monté une association qui aide d'anciens détenus à se réinsérer.

 

 

 

 


 

Sierre, 1er décembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Aujourd'hui commence notre résidence de travail à Sierre. Nous sommes accueillis par Alexandre Doublet et l'équipe du TLH aux Caves de Courten pour deux semaines. Nous avons décidé de travailler une semaine seuls afin de pouvoir affiner notre vision et mettre en place le dispositif dans lequel nous pourrons accueillir les comédiens. En attendant, Marc notre éclairagiste, Denis notre ingé son et compositeur et Tom, le technicien du théâtre les Halles nous aménage un espace de travail dans lequel nous allons pouvoir commencer à donner forme à notre spectacle.

 

 


 

Sierre, 2 décembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Sierre, 7 décembre 2017

 

 

 

 

 

 

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Claire et Pierre sont arrivés aujourd'hui. Ils découvrent le texte et les images d'Alexandre.

 

 

 


 

Sierre, 8 décembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Denis nous a rejoint à Sierre avec des micros HF. Il les fixe de la manière la plus discrète possible sur les comédiens qui dansent, se couchent au sol et se serrent dans les bras l'un de l'autre, une prouesse.

 

 

 


 

Sierre, 14 décembre 2016

 

 

 

 

 

 

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Nous présentons le résultat du travail que nous avons accompli durant ces deux semaines de résidence. Nous avons tous travaillé avec enthousiasme. Cette première session de répétitions à été incroyablement fructueuse et remplie de joie. Nous sommes heureux de montrer à Alexandre Doublet et à son équipe ce que nous avons fait.

 

 

 


 

Manchester - Sheffield - Londres, du 22 décembre 2016 au 7 janvier 2017

 

 

 

 

 

 

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Dernier séjour en Angleterre pour tourner les plans qui manquent encore. Nous avons choisi de commencer notre périple à Manchester où Alexandre souhaite filmer une barrière qui semble vouloir contenir la circulation d'une foule, dans un coin de rue toujours désert. Nous tournons de nuit, sitôt arrivés, car nous partons dès le lendemain pour Sheffield.

 

C'est là que les choses sérieuses nous attendent. Nous n'avons pas encore réussi à filmer le plan final du spectacle. Nous espérons pouvoir réaliser les images dont nous avons besoin avant de partir pour Londres. Mais notre caméra en a décidé autrement. Elle cesse brutalement de fonctionner alors que nous sommes en train de tourner nos premières images. Nos efforts pour la faire redémarrer sont vains. Nous finissons par retourner à l'hôtel pour chercher comment la dépanner nous-mêmes sur Internet. En effet, en cette période de Noël, il est impossible de trouver un professionnel pour nous venir en aide. Nous nous relayons donc auprès de la caméra défaillante pour la ramener à la vie. Hélas nos billets de train ne sont pas échangeables, pas remboursables et il faut partir pour Londres avant d'avoir réussi à réparer la caméra récalcitrante.

 

Nous arrivons à Londres le 24 décembre en fin d'après-midi. Jamais je n'ai vu la ville aussi calme. Les métros et les rues sont vides, les magasins fermés. C'est la trêve. Nous nous inventons un Noël de fortune en dévalisant un des rares épiciers turcs qui ait le bon goût de rester ouvert pour le réveillon. Dès le 25 au matin, je visite à nouveau les forums sur lesquels les caméramens partagent leurs expériences. En fin de journée, après plusieurs explosions de rages et des larmes de désespoir, la caméra daigne enfin redémarrer. L'aventure peut continuer.

 

Nous reprenons les tournages dès le lendemain. Cela donne parfois lieu à des scènes épiques. Tourner un plan séquence sur la Green Way un jour de match, alors que le public commence à affluer vers le stade olympique relève de la pure acrobatie. Vouloir saisir la lumière de la fin du jour, à l'instant où les lampadaires s'allument est une idée fort poétique dont la réalisation réclame une chance qu'on ne rencontre pas tous les jours. D'une manière générale, l'équation est simple soit la lumière est moche et il pleut, ce qui rend le tournage impossible, soit la lumière est belle et promeneurs et cyclistes traversent le champ sans vergogne. Evidemment cela donne lieu à quelques échanges amusants...

 

Nous repartons à Sheffield pour le tournage de la dernière chance. Par bonheur, la lumière est belle, et il n'y a guère de touristes à Park Hill. Nous pouvons filmer la dernière séquence avant de retourner à Londres. Je me suis attachée aux murs lépreux de la cité, à l'air revêche des gens du nord. Chaque moment prend une saveur particulière car nous savons que nous ne reviendrons pas de sitôt.

 

A Londres aussi, nous nous sentons sur le départ. Nous tentons de joindre les amis que nous nous sommes faits pendant notre enquête, retournons dans un restaurant, un coin de rue que nous avons particulièrement aimé. Nous nous acharnons à tourner un dernier traveling qui tourne à Liverpool street alors qu'il est interdit de filmer sur une propriété privée. Nous passons outre, malgré la perspective de voir un agent de sécurité nous arrêter. Alexandre doit filmer en tenant la caméra à la verticale tout en en tournant sur lui-même de manière régulière pendant plus de cinq minutes sans être interrompu. Je tourne à son côté pliée en deux pour ne pas entrer dans le champ, les bras ouverts pour le rattraper si jamais il tombe, pendant que notre fille Lou fait le guet. Après plusieurs tentatives, nous parvenons à nos fins à l'avant veille de notre départ, en priant pour que les plans que nous avons réalisés soient aussi beaux que nous les avons rêvés.

 

 

 

 


Genève, février 2017

 

 

 

 

 

 

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Dernière session de répétitions avant la création. Les détails se dessinent, les intentions se précisent et la tension monte progressivement.