…«C’est vraiment le peuple qui s’est posé le plus de questions par rapport à son histoire», conclut-il. (Alexandre Simon)… C’est sur ce noyau dur de l’Europe que le vidéaste s’est penché aux côtés de la poétesse Cosima Weiter. Avec le musicien Marcello Silvio Busato, loin de tout désir de commémoration, ils donnent la parole à ce Berlin insaisissable dans un opéra de chambre intitulé Funkhaus. Dès le 9 novembre au Théâtre de l’Usine.

La Tribune de Genève, le 06 novembre 2009, Lionel Chiuch



Un opéra de chambre éclectique fait revivre au Théâtre de l’Usine l’un des symboles de l’ex-Allemagne de l’Est. Expérimental. Le programme de Funkhaus, création d’Alexandre Simon et Cosima Weiter, à voir au Théâtre de l’Usine jusqu’au 22 novembre, l’indiquait de manière exhaustive: «Opéra de chambre pour vidéo, poème sonore et percussions». Mais qu’ont en commun des genres apparemment si différents ? La réponse est dans le titre. En effet, la Funkhaus Nalepastrasse, maison de la radio de l’ex-Allemagne de l’Est, autrefois vitrine du pouvoir médiatique de l’Etat, est le véritable champ d’action de cette création. Aujourd’hui ne restent apparemment que les murs de cette petite ville de 135 000 m2. Il n’en va pas ainsi pour les deux concepteurs du spectacle (rejoints en cours de route par le musicien Marcello Silvio Busato) : sur les traces du quotidien de cette institution, eux bâtissent leur oeuvre. La Funkhaus devient ainsi le symbole d’une histoire sans témoins, qu’ils se sont chargés d’écrire moyennant une recherche de matériel sur place. L’opéra de chambre, comme son nom l’indique, est un opéra réduit. En prenant à son compte ce genre mineur, Funkhaus réduit encore plus, si possible, ses éléments de séduction. Sur scène se dressent des panneaux en faux béton, et quand le dispositif se met en marche, c’est un décor de couloirs et de salles vides qui y est projeté par Alexandre Simon. Une voix raconte : «Mes pas dans mes pas, j’avance dans ces couloirs au passé.» Une voix, car le corps de Cosima Weiter, plongé dans le noir et le gris des décors projetés, s’efface. Marcello Silvio Busato, dos au public, mains sur le mur, émet des sons, engage un duo. Le visage de Cosima Weiter surgit, puis se retire, avec précision, suivant un parcours qu’on ne voit pas, dans un labyrinthe qu’on devine. Sur cette partition se greffe le discours de Cosima Weiter. Un discours fait de soubresauts, tel des bobines sectionnées, ou une fréquence radio parasitée. Et ce n’est pas par hasard. Ce sont en effet les lambeaux d’émissions, d’informations, de propos recueillis par l’artiste, poète sonore, dans les archives de la Funkhaus, et accumulés sous forme de listes. A travers cette syntaxe, aussi hachée que la mémoire, on devine une histoire. L’évocation d’un quotidien traqué, de quelqu’un chargé de sabrer l’histoire par la censure de l’ex-RDA : «Je coupe la bande», «ce que je dis ne dit rien», «ce que je cherche n’est pas la vérité». Des photos souvenirs sont projetées. Un visage recouvre celui de Cosima Weiter. Quand la voix refait surface, le «je» devient pluriel, s’identifiant au peuple de l’ex-RDA, déraciné et berné par l’histoire. Mais si le «je» s’identifie par moments à tous ces destins, on reste encore bien loin de l’«ostalgie» et autres lectures lénifiantes du passé. Le rythme se fait alors plus soutenu. Le musicien revient à son mur qu’il tape, gratte, fait crisser et «joue». Une palette de sons insoupçonnés, réalisée par Claire Davy (scénographe) et Marcello Silvio Busato. Funkhaus est une oeuvre de trouvailles ingénieuses et porteuses de sens.

Le Courrier, 19 Novembre 2009, Nicola de Marchi



«Suis-je plus seule lorsque la porte est ouverte ou fermée?» Avec le vidéaste genevois Alexandre Simon, Cosima Weiter habite Berlin depuis la chute du Mur. Le sentiment d’appartenance, la propagande, la liberté, la perte d’identité… Tous ces sujets traversent avec finesse Funkhaus, un opéra de chambre pour voix, images et percussions qui évoque de manière impressionniste la Funkhaus Nalepastrasse, ou Maison de la radio de l’ex-RDA, véritable timonier politique et culturel abandonné après la réunification. Sur la scène, quatre parois sur lesquelles sont projetées des images de murs abîmés, de portes fendues, de couloirs sombres. La Funkhaus, ou ce qu’il en reste. Sans transition, des clichés d’enfants joufflus des années 1960, choyés par une mère attentive, dressés par un père sévère. Le symbole est clair. Un jour, il y a longtemps, l’ex-RDA a cru dans un avenir radieux. Et, dans ces années dorées, la Maison de la radio propageait cette idée de progrès. Postée à l’avant-scène, Cosima Weiter dit ses propres mots. Qui effleurent ce basculement historique sans le documenter. Il est question de «tempête sur la mer», de «Strasse der Zukunft». Plus loin, l’auteur ajoute: «Tu dois surveiller tes paroles, l’ennemi n’est pas loin.» Et puis: «Un mur comme rien et son ombre pour vivre. C’est mieux comme ça.» Elle n’est pas seule sur le plateau. De dos, le percussionniste Marcello Silvio Busato attaque de ses baguettes un mur sonorisé. Les sons claquent, grattent, cassent, caressent. La voix, douce, poursuit: «Mon pays passe à l’Ouest, mon pays se dissout.» Sur une des parois, un enfant d’il y a longtemps sourit.

 

Le Temps, 21 novembre 2009, Marie-Pierre Genecand

 

 

 

Voyage sur les traces de la radio de Berlin-Est.

Un opéra de chambre éclectique fait revivre l'un des symboles de l'ex-Allemagne de l'Est : la maison de la radio de Berlin-Est. "Funkhaus" est une création expérimentale d'Alexandre Simon et Cosima Weiter que l'ABC présente ce soir et demain au Temple allemand à la Chaux-de-Fonds.

 

Voyage poétique, "Funkhaus" est une création atypique qui fait revivre l'un des symboles de l'ex-Allemagne de l'Est : la Funkhaus, maison de la radio de l'ex-Allemagne de l'Est, vitrine du pouvoir médiatique de l'Etat fermée après la chute du Mur de Berlin et aujoud'hui pratiquement vide.

 

Pour le Genevois Alexandre Simon (vidéaste) et la Française Cosima Weiter (poésie sonore), concepteurs du spectacle résidant à Berlin. Le destin des bâtiments de la maison de la radio interroge sur les notions de mémoire, de trace et d'oubli. Il pose aussi la question de savoir ce qui reste d'un instrument d'Etat lorsque le pouvoir qui l'utilisait n'est plus. "Comprendre cette architecture du pouvoir nous a permis de mieux appréhender le communisme" relate Alexandre Simon. Une démarche complétée par une plongée dans l'histoire de l'Allemagne de l'Est et dans les témoignages de personnes ayant travaillé dans le bâtiment de la radio d'Etat. "Nous nous sommes immergés dans la vie de ces gens à qui l'on a volé toute une partie de leur histoire". Depuis le système qui régissait leur vie jusqu'au produits qu'ils consommaient en passant par le Palais de la République, tout a été réduit à néant, laissant les ex-Allemands de l'Est sans passé, sans histoire, sans racine, apatrides dans leur propre pays. Au point que même ceux qui ont été des victimes du régime se disent aujourd'hui nostalgiques de l'époque communiste, notamment de son système social. "Ces gens rêvaient de se débarrasser d'un régime, pas d'être phagocytés par l'Ouest", relève Cosima.

 

"Funkhaus" se présente sous la forme d'un grand poème qui donne voix à la population de l'ex-RDA. Mais loin de n'être qu'un simple témoignage, et encore moins un travail politique engagé, le spectacle ne prend pas position, ne dénonce rien. Il s'agit d'une démarche artistique à part entière, qui pose des questions plutôt que d'y répondre. "Nous sondons l'ambiguïté des sentiments face à l'ex-RDA et interrogeons, à travers notre propre champ poétique, les implications de cette spoliation identitaire sur le langage mental et l'intimité" explique le vidéaste.

 

Fruit d'une création collective, cet opéra de chambre pour vidéo, poème sonore et percussions est constitué d'une scénographie (Claire Davy et Christophe Ryser), d'images projetées (Alexandre Simon), d'un poème sonore (Cosima Weiter), d'une partition musicale (Marcello Silvio Busato) et d'une création lumière (Marc Gaillard). Dans l'écho d'un mot comme dans la peristance d'une image, la préoccupation du temps ou de ce qu'il en reste quand il est passé tisse ainsi le fil de cette oeuvre hantée.

 

L'Express - L'impartial, 30 septembre 2010, Claude Grimm