Karjaa, 2 janvier 2019







Aujourd’hui nous quittons l’appartement avant le lever du jour. Nous nous hâtons vers la gare sous la neige afin de prendre le train pour Karjaa où nous attend Rigina Ajanki. Rigina enseigne les langues finno ougriennes à l’Université de Helsinki. Nous sommes en contact avec elle depuis plusieurs semaines et elle nous a proposé de venir la voir chez elle, dans sa ferme. Nous arrivons à 10h30. 


Rigina vient nous chercher à la gare. A la ferme, les animaux nous attendent. Nous sommes accueillis par une petite foule hétéroclite. Les quatre chiens nous font fête, tandis que les chèvres nous considèrent d’un œil curieux. Le cochon vient s’enquérir des raisons d’une telle agitation. Seules les poules picorent avec indifférence. Dans la maison un chat trône sur la table. D’autres surgissent pour grignoter quelques croquettes avant de retourner dormir. Nous sommes au paradis des animaux.














Rigina vient de Rovaniemi, où nous nous sommes rendus l’année dernière. Elle nous explique à quel point il lui est nécessaire de sentir une distance entre sa maison et celle des voisins pour être en paix chez elle. Enfant elle prenait le bus pour parcourir la dizaine de kilomètres qui séparait sa maison de l’école. Certains de ses camarades devaient quant à eux faire des trajets de vingt à trente kilomètres tous les jours allers et retours pour aller en classe. Les distances ne semblent pas effrayer les habitants du nord. Elle m’explique cependant qu’après avoir vécu loin de tout jusqu’à 19 ans elle a souhaité habiter en ville, près de l’université, puis près de son travail. C’est ce qu’elle a fait jusqu’à il y a trois ans, quand une coupure d’électricité en plein hiver à Helsinki lui a fait prendre conscience de l’aspect artificiel de son mode de vie. Sans électricité, elle ne pouvait rien faire. Dans sa ferme, elle dispose d’un poële à bois pour se chauffer et cuisiner. Sa réserve de bougies est inépuisable. Elle se sent autonome.  
 
Notre hôtesse se montre très soucieuse concernant le réchauffement climatique. L’été dernier, particulièrement chaud et sec, l’a remplie d’effroi. Pour la première fois de mémoire d’homme, le puits des voisins était à sec. Pour la première fois aussi le foin pour les bêtes est venu à manquer. Il est désormais importé d’Islande et vendu 60 euro le sac de 40 kilos au lieu des 30 euro habituels.
 
Née en Laponie, Rigina a une forte nostalgie du nord et de sa nature, que sa grand-mère lui a appris à aimer. Elle savait les endroits où traverser la rivière gelée, les plantes bonnes à manger, celles qui ne l’étaient pas. Elle cueillait les baies et préparait des confitures pour pouvoir les consommer l’hiver.  
 
Dans sa ferme, Rigina vit seule avec ses bêtes lorsque ses enfants ne sont pas là. Elle accomplit seule toutes les tâches liées à l’entretien des animaux, mais aussi les travaux nécessaires notamment la construction de clôtures rendues obligatoires par le gouvernement finlandais lorsqu’on élève des bêtes de différentes espèces. Rigina en bonne citoyenne, monte les clôtures afin que chiens et cochons ne partagent pas le même espace, puis laisse les portes ouvertes pour que tous circulent librement. Elle a le sentiment d’être considérée comme une originale par les gens du pays, mais ne s’en formalise pas.  
 
Après l’entretien, notre hôtesse nous emmène nous promener dans la forêt voisine. Les chiens gambadent autour de nous. La végétation de la région lui paraît encore exotique et luxuriante. La variété des espèces la surprend toujours car en Laponie, seuls poussent les bouleaux et les pins. Les arbres eux-mêmes sont plus petits que ceux du sud de la Finlande. Elle ajoute que plus loin au nord, il n’y a plus d’arbres, seulement de petits arbustes, des herbes, de la mousse. Ces observations méritent d’être affinées afin de faire partie de l’épopée de la voyageuse de Nord.  
 
Lorsque je lui explique mon idée d’une femme qui déciderait de partir seule pour rallier le Pôle Nord, elle rétorque : si c’était un homme, il serait vu comme un genre de héros, mais une femme, ce serait juste une folle inconsciente. Elle rit.  
 
De retour à Helsinki le ventre assez creux, nous sommes percés par le froid.