Angels_L.A.Diary

Angels_L.A.Diary
 
Part One

Texte  Cosima Weiter
Photographie Alexandre Simon
 


Genève, le 11 juillet 2013

 

 

 

 

 

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A Genève, la première personne que nous interrogeons est Lionel Chiuch. Il est allé à Los Angeles en 1992. En partant là-bas, Lionel était plutôt mitigé. Il ne croyait plus depuis longtemps aux clichés des livres qu'il avait lus enfant. Il voulait profiter du voyage pour faire un reportage sur les boîtes, les clubs et la musique qui se jouaient alors à L.A.. A son arrivée, installé à l'hôtel, il a allumé la télévision : toutes les chaînes diffusaient des images de magasins en flammes, de foules furieuses vidant des supermarchés, pendant que des policiers assistaient à la scène impuissants. Au lendemain de l'annonce du jugement des policiers qui avaient molesté Rodney King, la ville était à feu et à sang.

 

 

Comme souvent, avant de commencer à travailler sur un projet, nous lisons : Fitzgerald, Bukowski, Fante, Frey, Chandler, Ellroy et Connelly. Alexandre se plonge dans Le ravissement de Britney Spears de Jean Rolin, et surtout, nous sommes fascinés par City of Quartz, un ouvrage de Mike Davies qui retrace l'histoire de la ville. Ainsi Los Angeles se dessine dans l'espace et dans le temps. Des routes se tracent de Downtown à West Hollywood, de Bunker Hill à Chinatown. Plus au sud, il y a le quartier noir de Compton. Les documentaires que nous visionnons le décrivent comme une zone de non droit sur laquelle règnent les gangs. C'est aussi de là que viennent les rappeurs les plus talentueux de Los Angeles, parmi lesquels Kendrick Lamar, dont les morceaux mêlent des sons tirés du quotidien à des musiques de toutes obédiences.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Genève_1er décembre 2013

 

 

 

 

Nous partons pour Los Angeles pour tenter de saisir ce que peut être l'expérience d'un immigré dans la Cité des Anges. Comme pour nos précédents spectacles, nous voulons appuyer notre réflexion, et mon texte sur une base réelle. Nous avons donc d'ores et déjà pris contact avec plusieurs associations d'immigrés. Des multiples messages que nous avons envoyés, résultent quelques rendez-vous, notamment avec le directeur du musée des Chinois d'Amérique et avec un membre de association des  Eductaeurs Mexicains Américains. Cette fois, nous avons également le projet de filmer les personnes que nous questionnerons. En effet, nous voulons pouvoir projeter leur image sur scène, qu'ils constituent une présence à laquelle le comédien Pierre Isaïe Duc pourra se confronter. Il faudra prendre d'autres contacts sur place, pour étoffer notre recherche.

 

 

 

 

 

 

 


 

Los Angeles_Downtown, 13 décembre 2013

 

 

 

 

 

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Le voyage a été éprouvant. Nous sommes épuisés en descendant d'avion et décidons de prendre une navette qui nous déposera directement à l'hôtel. Le chauffeur s'appelle Matthew. Il est noir, très croyant, passionné de musique, père de quatre enfants et professeur de mathématiques. Il a pris ce second job de chauffeur pour financer les études de ses enfants. Il nous raconte ceci : lorsque sa fille aînée est entrée à l'université, elle a décidé de déménager à proximité de la fac afin d'éviter de faire de trop longs trajets. Pour limiter les coûts, elle a choisi de vivre en colocation avec sept autres étudiants dans un appartement qui comportait deux chambres. La jeune fille s'est rapidement révélée être la plus studieuse, la plus réservée de la bande. Son rythme de vie était incompatible avec celui des autres colocataires. S'inquiétant pour sa fille, Matthew a cherché un autre logement pour elle. Il a trouvé une chambre fraîchement rénovée chez un avocat. La jeune fille aura même la possibilité d'utiliser le jardin et la piscine. Tout est pour le mieux, jusqu'à ce que Matthew apprenne que l'avocat avait été démis de ses fonctions suite à des malversations, de plus, cerise sur le gâteau : l'avocat se révèle être exhibitionniste… C'est ainsi que la jeune fille est retournée vivre chez ses parents le temps de finir ses études.

 

 

Nous arrivons à l'hôtel affamés peu avant minuit. Le temps de nous rafraîchir il est presque une heure du matin lorsque nous quittons le Westin Bonaventura Hotel and suites pour chercher de quoi remplir nos estomacs. Beaucoup de restaurants sont fermés à cette heure-ci. Heureusement le Pantry est ouvert 24h sur 24. Même à cette heure tardive, on fait la queue pour y trouver une place. Le portier mexicain nous fait entrer rapidement parce que Lou tousse, comme sa fille qui a la bronchite et dont il nous montre la photo en retenant une larme. Elle me manque dit-il. J'espère que sa petite princesse dort à poings fermés à l'heure où son père nous ouvre la porte du saint des saints. Ici les Angelinos de tous milieux et de toutes origines se pressent pour manger d'énormes hamburgers, de vastes omelettes ou des pancakes couverts de beurre et de sirop d'érable dans une atmosphère affairée. Je suis impressionnée par la variété des traits des clients et des des employés du restaurant. Je demande à un couple de jeunes latinos comment s'appelle la montagne de pain doré qui trône sur leur table. French toasts répondent-ils en riant de mon accent. Le temps que nous mangions, tous les convives de l'établissement ont été remplacés par de nouveaux depuis longtemps. Je sens l'anxiété poindre dans le cœur de notre serveur pourtant fort poli. Il est temps d'aller nous coucher.



 

 

 


Los Angeles_Downtown, 14 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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De la fenêtre de l'hôtel, on voit des immeubles, des arbres tourmentés, des routes aux nombreuses voies sur lesquelles les automobiles se précipitent inlassablement. On voit aussi une sculpture contemporaine en métal peint de rouge qui, de si haut, a tout l'air d'un trombone. On voit aussi, blotties sous un pont, dans le renfoncement d'une baie vitrée, retirées dans un passage peu fréquenté des tentes aux couleurs passées, frêles habitacles dans une cité de pierre, de verre et de métal.

 

Nous quittons Downtown pour West hollywood. Métro jusqu'à Vermont / Beverly. Là, entourés de nos bagages, nous nous installons sur un banc pour attendre le bus 704 qui nous conduira jusqu'à destination. Une femme entre deux âges s'inquiète de notre sort. Elle voudrait nous aider, nous remettre sur notre chemin, dont à coup sûr, nous nous sommes éloignés, mais elle ne parle pas un mot d'anglais et j'ignore tout de l'espagnol. Son fils vient à notre rescousse. En vain, puisque nous ne sommes pas perdus. C'est simplement que jamais de touristes blancs ne prennent le bus à ce coin de rue.



 

 

 

 


 

Los Angeles_West Hollywood, 15 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Le décalage horaire nous joue des tours. Endormis à 18h00, lorsque le jour s'est couché, nous nous réveillons à 4h00 du matin. Nous quittons l'appartement loué pour la nuit avec le lever du soleil, dans une lumière rosée. Petit déjeuner chez Norms : pancakes, omelette farcie, saucisses, bacon... Nous peinons devant nos assiettes, contrairement au couple âgé attablé non loin. Ils ont l'air pauvre et sale, tannés par le soleil, usés par les ans, pourtant ils sont là, avec leurs grands sourires auxquels manquent quelques dents et leurs regards malicieux : comment ça vous n'avez pas de voiture ? Vous ne savez pas conduire ? Quelle blague !


Ils lient conversation avec Alexandre et tentent de le convaincre que les Etats-Unis sont "the best country in the world"… Mon compagnon n'est pas très convaincu, et il est étonné de tant d'enthousiasme de la part de gens qui ont l'air de vivre dans une grande précarité. Alors qu'ils lui dressent une liste des beautés de la ville digne du guide touristique le plus galvaudé, le sentiment d'avoir affaire à une forme étrange de propagande affleure dans son esprit. Une dernière photo, un signe de la main. L'homme et la femme repartent dans leur auto décatie en riant encore de notre étrangeté. Pas de voiture…

 


Promenade dans West Hollywood.

L'hôtel dans lequel vivait Jim Morisson se dresse inchangé. Et au coin de la rue, le studio dans lequel les Doors répétaient régulièrement un peu plus haut c'est le Whisky a Gogo. Je savais que l'histoire des Doors était brève, mais j'ignorais qu'elle se concentrait sur un espace aussi restreint. Alors que je commence à pressentir l'immensité de la ville, il me semble que ses habitants n'habitent pas pour autant un territoire plus vaste. Comme si l'espace dans lequel un humain vit au quotidien se composait de quelques lieux, quel que soit la vastitude de la ville ou la petitesse du village qu'il habite. Toute proche, The Books Soup est une librairie débordante de livres, des livres d'art, des guides, des best sellers… et presque chaque jour un auteur vient présenter son dernier ouvrage. C'est la première librairie que je vois ici, mais elle a l'air si animée que cela me donne l'impression que la culture est loin de péricliter.

 

 

Ron Woods. C'est ainsi que s'appelle le chauffer du taxi qui nous conduit à notre prochain hôtel sur Sunset Boulevard. Il est venu de l'Etat de Washington il y a une trentaine d'années, pour la musique. Il est batteur, il joue du rock. Passé un temps, il vivait dans le même coin de rue que  l'autre. Celui des Rolling Stones, alors le facteur se trompait, et ils se croisaient régulièrement pour échanger les courriers mal adressés, jusqu'à ce que l'autre déménage. Aujourd'hui, en plus de la musique, Ron fait du stock car, et conduit un taxi de manière assez sportive dans les rues de L.A

 

 

 

 

 


Los Angeles_Hollywood, 16 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Nous sommes de nouveau levés avant le jour. Cette fois nous partons pour Hollywood boulevard. A 7h00 du matin, il n'a rien de glamour. Les étoiles rouges sur le sol ne sont foulées que par des vagabonds, un type plonge le bras dans un égout pour en sortir un sac plastique dégoulinant. Il pousse des cris d'animaux. Les boutiques aux rideaux tirés semblent minables et poussiéreuses. Le Chinese Theater paré pour célébrer la sortie du dernier Hobbit est grossier. Je ne m'attendais certainement pas à un genre de chic façon Champs Elysées, mais pas non plus à un si triste étalage. Nous nous réfugions au El Capitan pour voir le dernier Disney en 3D. Le film est précédé d'une performance de deux sculpteuses sur glace qui réalisent à toute vitesse un bonhomme de neige avec leurs tronçonneuses. Puis des comédiennes font tomber sur nous des flocons de neige ouatés. Enfin, le film débute. Ici on s'exclame, on rit fort, on commente, on crie quand ça fait peur et on applaudit à la fin.







 

Los Angeles_Hollywood, 17 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Los Angeles_Downtown, 18 décembre 2013      

  

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

                         

Rendez-vous avec Steve Wong. Steve dirige le Chinese American Museum. Il m'explique que les Chinois ont participé à la construction des premiers chemins de fer qui menaient jusqu'à la Cité des Anges. Pourtant le jour l'inauguration, ils n'apparaissent pas sur les photos de presse. Chinois, c'était encore pire que Noir, pire que Mexicain, moins que rien. Il ajoute que pendant longtemps, les femmes chinoises n'avaient pu entrer aux Etats-Unis car les autorités américaines souhaitaient éviter la prostitution de ces immigrées. Ainsi les épouses, les mères, sans distinction considérées comme des prostituées potentielles. Comme si les Chinoises étaient toutes des putes, soupire Steve. Les mariages de Blancs avec des personnes d'origine étrangères étaient interdits dans de nombreux Etats. Et pendant la seconde Guerre Mondiale, l'immigration asiatique a été interdite car on craignait que les Japonais n'entrent ainsi dans le pays… Il m'explique que son père est venu aux Etats-Unis en 1966, au moment où l'immigration asiatique a été de nouveau autorisée. Il fuyait la Chine communiste, où malgré ses efforts, et bien qu'il se soit éloigné de sa famille bourgeoise il était constamment suspect. Il est passé par Hong Kong, puis a finalement franchi le Pacifique. C'est une fois à Los Angeles qu'il a rencontré celle qui est devenue son épouse, et la mère de Steve. Steve me dit que de nombreux Chinois de milieux privilégiés sont arrivés aux Etats-Unis à la même période. C'est ce qui explique que sa communauté se soit facilement intégrée. Ces immigrés-là avaient des qualifications, et quelques ressources qui leur ont permis de commencer une nouvelle vie ici dans des conditions satisfaisantes. Nous visitons ensuite le musée. L'exposition commence par une question : que prendriez vous avec vous si vous partiez pour un pays lointain sans espoir de retour ? Des valises ouvertes et de menus effets sont exposés. Le destin de Chinois ayant fait ce grand voyage est raconté sur un carton. L'un a pris avec lui des herbes médicinales introuvables aux Etats-Unis, l'autre un petit service à thé, une calligraphie, les portraits de ceux qui restent au pays... Menus objets qui disent une vie mieux que mille mots. J'ai les larmes aux yeux.
 
 
 
 
 
 
 

Los Angeles_Dowtown, 19 décembre 2013
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 


Nous attendons le bus qui nous conduira au bureau d'Antonio Camacho, avec qui  nous avons rendez-vous à midi. Le bus ne vient pas et une femme noire d'une cinquantaine d'années, cachée derrière une paire de lunettes proprement hollywoodiennes décorées de perles blanches s'impatiente avec nous. Elle repère rapidement le matériel photo d'Alexandre et nous demande ce que nous faisons. Lorsque nous le lui expliquons, elle manifeste aussitôt son enthousiasme et nous dit combien elle aime être interviewée. Elle nous donne sa carte (parfumée) et nous fait promettre de la rappeler. Elle sort aussi son CV de son sac à main. Si je comprends bien, Winifred est comédienne et présentatrice télé. Elle a longtemps travaillé à San Francisco avant de venir s'installer à Los Angeles pour développer sa carrière. Malheureusement, si j'en crois son allure - et le simple fait qu'elle se déplace en bus - le succès de cette opération n'a pas été complet.

 

 

 

Notre hôte nous attend dans son petit bureau. Des cartons s'entassent partout, sa table de travail est encombrée par un énorme four à micro ondes… C'est le résultat d'un dégât des eaux. Antonio José Camacho est hilare. C'est l'occasion de jeter les vieilleries et de faire de l'ordre ! Sa belle humeur illuminera l'ensemble de notre conversation. Il travaille au sein de l'Association of Mexican American Educators dont le but est de rendre l'éducation accessible aux jeunes d'origine mexicaine. Il aide notamment ceux qu'on appelle des dreamers. Ce sont des jeunes qui sont arrivés tout petits aux Etats-Unis. Leurs parents sont entrés sur le territoire américain de manière illégale et s'y sont installés. Les enfants ont été scolarisés ici, ont suivi des études parfois de haut niveau, mais ils ne peuvent entrer sur le marché un travail car ils sont sans papiers. Après de longues années de silence, ils se regroupent et réclament leur droit au rêve américain. Ils ne veulent pas être lésés par le fait que leur parents ont commis un délit en s'installant ici. Le président Obama les soutient. Antonio est convaincu qu'ils finiront par avoir gain de cause.

 

Il répète à plusieurs reprises que lui et sa famille ont eu de la chance. Son père était un charpentier de talent qui a pu faire vivre sa famille de son travail. Il a envoyé ses enfants dans une école tenue par des carmélites hispanophones. Il a ainsi reçu un enseignement bilingue. Il a été le premier de sa famille à fréquenter l'université et il est fier de préciser qu'il n'est pas le dernier.

 

Son épouse, qu'il a rencontrée à l'université est black. Elle vient d'un milieu beaucoup plus aisé et cultivé que lui. Mais, dit-il, nous avons toujours eu le sentiment que la lutte pour l'intégration dans la société américaine était une expérience commune à chacune de nos familles, et cela nous a rapprochés.

 

J'évoque la violence à Los Angeles… Il ne la craint pas. Toutefois il me raconte ceci :  un soir qu'il quittait la maison de ses parents, une bande d'hommes armés traversaient la rue en direction du jardin public voisin. Il me dit avoir chargé sa femme et ses enfants dans sa voiture avant de partir en trombe pour mettre autant de distance que possible entre eux et ces hommes. Oui j'ai eu de la chance dans cette vie, la plupart de mes amis d'enfance, mes copains du quartier sont morts de mort violente. Moi je suis en vie, et j'ai une bonne vie.

 

 Avant de quitter Antonio, nous lui demandons s'il peut nous aider à contacter les dreamers. Bien sûr ! Et nous recevons le jour même un mail de sa part 

 

 

Je reprends contact avec Ron le chauffeur de taxi rockeur, nous voudrions lui proposer de conduire afin qu'Alexandre puisse réaliser les travellings dont nous avons besoin pour le spectacle. Et nous aimerions en savoir davantage sur sa vie car nous avons le sentiment que sa destinée est proche de celles que nous voudrions voir se dessiner sur scène.

 

 

 

 

 

 


 

Los Angeles_Dowtown, 20 décembre 2013

 

 

 

 

 

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Los Angeles_Downtown, 21 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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J'ai tenté de recontacter Winifred à plusieurs reprises depuis que nous l'avons croisée. Mais elle ne répond ni aux mails, ni aux messages téléphoniques. Je finis par renoncer, d'autant plus que nous avons quitté l'hôtel de Downtown près duquel nous nous sommes rencontrées. En effet, comme nous n'avons pas de voiture, nous déménageons chaque fois que nous voulons découvrir un nouveau quartier de la ville, en fonction de nos rendez-vous et de l'avancée de notre travail. Cela nous permet de nous plonger dans le quotidien d'un coin de rues, de retourner plusieurs fois dans la même épicerie, de lier connaissance avec des commerçants… ce que nous ne pourrions pas faire si nous ne faisions que passer.


 

 

 

 

 

 

 


 

Los Angeles_Echo Park, 22 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Nous avons lié connaissance avec Jared dans le café où nous préparions notre entrevue avec Antonio. Il est aujourd'hui retraité, mais il a travaillé longtemps au sein d'un cabinet d'architecture. Je lui explique la nature de notre projet, et évoque notamment Marzahn. Il me raconte alors le sort qu'a connu un important ensemble de logements sociaux ici à Chavez Ravine. Une fois les immeubles terminés, le projet a été accusé de "communisme" et laissé à l'abandon. Puis tout fut revendu pour un dollar symbolique à un entrepreneur qui construisit le nouveau stade des Dodgers, l'équipe de base-ball… Nous avons dû écourter la conversation pour rejoindre Antonio Camacho à l'heure, en nous promettant mutuellement de reprendre contact par mail. Jared a lors proposé de nous faire visiter la ville à bord de son auto un jour prochain.

 

 

C'est ainsi qu'il arrive à notre hôtel ce dimanche à 9h00 accompagné de son épouse Donna. Il nous emmène d'abord au Griffith Observatory afin de nous montrer une vue d'ensemble de la ville. C'est là que fut tournée le film culte Rebel without a cause, La fureur de vivre. Comme souvent à Los Angeles, mes souvenirs cinématographiques se superposent à l'image nouvelle que je me construis des lieux lorsque je les visitent pour la première fois. Etrange impression de déjà vu. Nous passons ensuite par Pasadena, où l'on peut admirer des maisons tout en bois des architectes Green and Green. Après quelques détours dans les quartiers résidenciels nous passons nous rafraîchir chez Jared et Donna. C'est Jared qui a conçu la maison de quatre étages accrochée à la pente et trouée de fenêtres qui laissent le soleil entrer à toutes les heures du jour. La vue sur le Silverlake est incroyable et constitue en soi l'explication de son nom.

 

 

Nous reprenons la route pour Glendale, puis nous nous arrêtons sur Hollywood Boulevard pour manger dans l'un des plus anciens restaurants thaï de la ville. Les plats sont puissants et délicieux. Nous nous régalons. Dans ce coin de rue, alors que rien de particulier ne le distingue d'un autre, les thaïlandais ont établi leur quartier : boutiques, épiceries, magasins de disques, restaurants, tous thaï. Les mots d'anglais sont rares sur les devantures. Nous reprenons ensuite la route en nous moquant gentiment de Jared, il disait ce matin qu'il nous montrerait les aspects les plus beaux de Los Angeles, mais aussi les moins reluisants, et jusqu'ici nous n'avons pu admirer que des constructions à l'architecture raffinée et des vues imprenables sur la ville et la nature environnante ! Alors il nous embarque pour Skidrow… Là nous rions moins. Des hommes, des femmes, majoritairement noirs, se pressent. Les plus organisés ont planté de petites tentes igloos sur les trottoirs jonchés de détritus. Leurs possessions sont entassées dans des caddies de supermarché, ou serrées contre les murs des bâtiments. Ils sont vêtus de haillons, les pieds nus, et souvent dans un état de santé pitoyable. Ils crient lorsque nous passons, et ce ne sont pas des cris de bienvenue. Bizarrement un restaurant chic et un salon de thé plutôt hype se sont installés tout près et la clientèle s'y presse… Quelle drôle d'idée, quelle drôle d'idée… répète Jared.

 


Nous recevons une réponse de Ron, le chauffeur de taxi rockeur conducteur de stock car : Il voudrait en savoir davantage sur notre projet, je lui explique ce que nous faisons et lui indique l'adresse de notre site internet.

 

 

 

 

 

 

 

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Los Angeles_Dowtown, 23 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Antonio que nous avons rencontré la semaine dernière a envoyé des mails aux étudiants qu'il connaît et dont il sait que ce sont des dreamers afin que nous puissions les interroger. Ses efforts portent leurs fruits, une étudiante nous contacte, elle est d'accord pour répondre à nos questions et se laisser filmer. Elle est en vacances cette semaine, ce sera facile de la voir. Rendez-vous est pris pour le 25 à 10h00.

 

 

 

 

 

 


Los Angeles_Dowtown, 24 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Noël. Downtown est calme. Peu d'autos, peu de passants… En réalité, les errants sont les plus nombreux ce soir dans les rues délaissées par les nantis. Il y a beaucoup de handicapés parmi eux, si bien qu'on les voit dormir au pied de leur fauteuil roulant, lorsqu'ils ne sommeillent pas simplement assis. A quoi rêvent-ils de quoi ont-ils rêvé avant ce coin de trottoir et ces couvertures sales ? Ces questions font partie de celles que je pose aux immigrants que j'interroge pour le projet. Hier, une femme au pieds nus et enflés, torturés par la rue m'a rappelé que Jésus avait souffert pour nous, qu'il était mort en rémission de nos péchés. Je me demande pour qui elle souffre, elle. Si elle nous sauve de quoi que ce soit en endurant cette vie. Et que se passera-t-il pour elle, quelles mains charitables prendront soin d'elle le jour où elle ne pourra plus se lever pour mendier ?

 

 

 

  West 7th street, du pont qui enjambe la freeway by cie_avec

 

 

 

 

 


 

Los Angeles_Long Beach, 25 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

Nous avons rendez-vous à 10h00 avec Ana, la dreamer contactée grâce à Antonio. Au City Center Hotel, nous disposons d'une chambre suffisamment vaste pour pouvoir réaliser l'entretien. C'est d'ailleurs la chambre qui est louée aux équipes de cinéma et de télévision pour y tourner des fictions. Nous poussons donc les meubles, préparons les plans que nous souhaitons filmer. La lumière du matin sera parfaite. Nous attendons. A 10h30, Ana n'est toujours pas arrivée. Je consulte mes mails. Elle s'excuse et propose de venir à midi. A midi, personne non plus et un nouveau message : 15h00 nous conviendrait-il ?

 

Evidemment elle ne vient pas davantage à 15h00 et s'excuse longuement… Nous ignorons tout des raisons qui ont poussé Ana à cette reculade. J'espère en apprendre davantage lorsque nous reverrons Antonio.

 

 

Nous avons sympathisé avec un épicier mexicain qui travaille juste en face de l'hôtel. Ce matin en allant acheter de l'eau, je lui ai demandé s'il serait partant pour une interview. Il a accepté et j'espère que cette entrevue pourra avoir lieu. Malheureusement, il réfléchit, se reprend… et revient sur sa décision.


 


 

 

 

 

 

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Deux dérobades dans la même demi-journée nous laissent passablement déprimés. Nous décidons donc de quitter Downtown pour l'après-midi et d'aller voir à quoi ressemble le sud de la ville.


Le jour tombe déjà lorsque nous arrivons à Long Beach. Les rues sont peu fréquentées, la grande roue est immobile, l'aquarium géant est en train de fermer. C'est tout juste si nous trouvons un endroit où manger. Dans la longue file d'attente, l'inévitable Where are you from ? surgit à nouveau. Mais pas moyen de nouer une vraie conversation avec nos compagnons d'infortune. Nous reprenons le métro pour regagner Downtown. Il traverse South L.A. dans le noir. Pas de lumière aux fenêtres des maisons. L'éclairage public est pauvre. Personne dans les rues, la circulation est rare, si ce n'est une voiture de police qui semble escorter le métro un moment, puis se met à sillonner un parking à peu près vide. L'ensemble donne l'impression que l'heure du couvre-feu a sonné depuis longtemps. Il n'est pourtant que 21h00.


 







Los Angeles_Glendale & Dowtown, 26 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Nous avons fait la conaissance de Caroline dans le bus qui nous ramène de Glendale. J'avais remarqué son regard intense, ses cheveux roux rangés sous son petit béret et le livre dans lequel elle était plongée :  Gift from the sea. Mais c'est elle qui nous a adressé la parole, en nous entendant parler français. Cette franco-italienne est venue s'installer à Los Angeles il y a une vingtaine d'années, parce qu'elle avait rencontré un boyfriend ici… Depuis il est devenu son mari et le père de ses quatre enfants. Elle descend au prochain arrêt, mais elle est promet de nous contacter très bientôt.

 

 

 

 

 

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Nous allons au Smell. Il s'agit d'un club alternatif qui organise aujourd'hui une soirée de soutien pour une association d'aide aux femmes sans logis. La soirée débute à 21h00. Le public se rassemble peu à peu devant les portes encore fermées. Les groupes arrivent avec leur matériel. Nous entrons, comme pour tous les concerts programmés, l'entrée coûte 5 dollars. Il y a des snacks et des boissons à des tarifs tout aussi abordables. La plupart sont bio et surtout, aucun alcool n'est vendu ici. Pas la moindre bière à l'horizon. C'est ce qui permet au Smell d'accueillir un public "all age" c'est-à-dire que les adolescents n'ont pas besoin d'attendre leur vingt-et-unième anniversaire pour assister aux concerts. Les générations se mêlent donc dans ce garage réaménagé.

Contre un mur, se dresse une étagère garnie de livres, de revues, de fanzines. Et par terre, des cartons de vêtements, de livres, de disques. C'est un troc. Nous avons plus que jamais le sentiment d'être ici dans une communauté.

 

 

 

 


Los Angeles_South L.A & Los Feliz., 27 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Les Watts Towers. C'est un genre de palais idéal du facteur Cheval. Ici, le constructeur de génie s'appelle Simon Rodia. Un immigré italien analphabète arrivé aux Etats-Unis encore adolescent pour travailler à la mine avec son frère. Mais la mine s'est effondrée, le frère est mort et Simon est parti vers l'ouest. Il a pratiqué divers métiers avant d'accumuler assez d'argent pour acheter un petit terrain de forme triangulaire dans le quartier populaire et cosmopolite de Watts. A partir de ce moment-là, il a consacré sa vie à faire quelque chose, quelque chose de grand… Il a travaillé chaque jour à construire des mâts, une voilure, à décorer chaque centimètre carré de son ouvrage de mosaïques faites de morceaux de vaisselle, de tessons de bouteilles de soda, de pierres et de coquillages. Un matin après avoir fait quelques finitions, il est allé chez son voisin, lui a donné la clef de sa maison en disant "j'ai fini." et il est parti vivre encore une dizaine d'années chez sa sœur à San Francisco avant de s'éteindre. Faire quelque chose de grand. Il me semble que le leitmotiv de cet homme pourrait devenir une des trames du spectacle.

 

Aujourd'hui, les Tours de Watts constituent un îlot dans ce quartier difficile. Les touristes viennent visiter les tours, laissant derrière eux quelques dollars qui permettent de financer des cours de musique et de dessin pour les enfants. Nous essayons de lier conversation avec les employés, ou sont-ce des bénévoles, mais nous nous heurtons à leur indifférence polie. Visiblement, il y a fort à faire ici, et ils n'ont aucun temps à nous consacrer. Pas envie non plus de parler d'un quartier dont on ne parle que trop. C'est qu'autour des tours de Watts, il y a Watts, et South L.A.. Ici la vie est dure et la violence affleure à  chaque instant. Un gardien demande aux enfants de nous raccompagner au métro. Il ne faudrait pas que nous nous perdions, ce sont de bons petits, répète-t-il. J'ai le sentiment confus que personne ne souhaite nous voir nous attarder dans le coin.

 

A l'entrée du métro, une jeune femme poursuit inlassablement un gros baraqué, et réclame give me my stuff… Il fuit à travers la freeway, la femme toujours accrochée à lui et se tourne de temps à autre pour lui décocher un coup de poing ou un coup de pied. Les policiers sont à leurs trousses, mais ils galopent sans conviction. Deux types se font passer les menottes près d'un banc. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce qu'on peut faire me dit une femme sur le quai. Enfin le métro arrive. Mon regard dérive vers les petites rues apparemment paisibles qui jouxtent les voies du métro aérien. Des chaussures sont suspendues aux câbles électriques - ce sont celles des gars qui se sont fait tuer juste en dessous desdits câbles, comme les fleurs aux bords des routes chez nous sauf que là les types ont pris des balles. Qu'est-ce qu'on peut faire ?


   


 

 

 


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Nous sommes un peu destabilisés par la difficulté que nous avons à établir de nouveaux contacts. Je lance une nouvelle salve d'emails, notamment au fondateur du Smell, le club où nous avons passé la soirée dernière. Je contacte également l'association d'aide aux femmes sans abri à laquelle les bénéfices des concerts seront reversés. Apparemment les locaux de l'association sont situés à Skidrow. J'ai la tentation d'aller sur les lieux, mais j'avoue que je ne suis guère rassurée à l'idée de retourner dans ce quartier. Elle y dispose notamment d'une boutique qui vend des produits fabriqués par des femmes en voie de réinsersion. Elle propose également une visite au cours de laquelle les diverses activités de l'association sont présentées. La prochaine a lieu le 7 janvier prochain. Je nous inscris donc.

 

 

 

 

 


 Los Angeles_Santa Monica & Venice, 28 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Dernier message de Ron, le chauffeur de taxi. Il me remercie pour l'intérêt que je lui témoigne, mais il refuse de répondre à ma demande.

 

 

 

Nous décidons de découvrir d'autres facettes de Los Angeles et grimpons dans le bus en direction de l'océan… Nous voulons nous mêler à la foule de touristes qui déambulent sur le frontwalk de Venice Beach, guigner les sportifs qui s'exercent, admirer les surfeurs qui font du rodéo sur les vagues du Pacifique. Las, le voyage est bien plus long que ce que nous imaginions. Après trois heures de route dans des bus bondés, nous arrivons à la nuit tombée. Il y a bien des touristes attablés devant leur hamburgers frites au Frontwalk Café mais l'air frais les a sans doute convaincus d'aller se mettre au chaud. Les échoppes sont en train de fermer, ne restent que ceux qui se préparent à passer la nuit dehors, sous des tentes de fortune, des couvertures trouées, des cartons qu'ils sortent de leurs caddies de supermarché. Je sors mon enregistreur et je me balade au milieu du brouhaha, dans l'indifférence générale.


 

 

 

 

 

  Venice frontwalk by cie_avec

 

 

 

 

 



Los Angeles_Downtown, 29 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Comme elle nous l'avait promis, Caroline nous a recontactés. Rendez-vous à Grand Park, en face du City Hall.

 

Elle arrive pimpante et chic. Elle sort tout juste de l'église méthodiste où elle assiste à l'office chaque dimanche. Elle n'a que peu de temps à nous accorder car elle travaille cet après-midi. Elle est vendeuse dans une boutique qui vend de l'huile d'olive et du vinaigre balsamique. Elle aime son job car elle propose des produits de qualité à une clientèle familiale et à des couples qui ont envie de se faire un petit plaisir. Elle me dit que les Américains ne pensent qu'au travail. Mais si on est un bon travailleur ici, on peut se faire une belle vie. Ce n'est pas la première fois que j'entends cela. Elle doit déjà partir, mais Gloria, sa fille est là. Nous l'interrogeons tout aussi brièvement que sa mère avant qu'elle ne coure rejoindre ses amies pour une après-midi de shopping. C'est avec Jimmy, son frère aîné que nous terminerons la journée. Il accepte de nous accompagner à notre hôtel afin que nous puissions le filmer dans de meilleures conditions. Il se prête d'autant plus volontiers au jeu qu'il travaille lui-même dans le domaine de l'image. Il a interrompu ses études avant de passer son diplôme afin de travailler en free-lance. Aujourd'hui il fait du montage et réalise des clips vidéos, son business commence à prendre son essor. Nous sommes impressionnés qu'un jeune homme de vingt puisse accomplir tout cela. C'est que, assure-t-il, ses clients sont davantage intéressés par son aptitude à accomplir son travail que par son âge ou ses diplômes… Il vit chez ses parents à East L.A., un quartier dans lequel la population hispanique est très importante. Il s'y sent bien. Selon lui, les différentes communautés de Los Angeles, encore fermées sur elles-mêmes sont inéluctablement amenées à se côtoyer et à se mêler.







 







 

Los Angeles_Beverly Hills, 30 décembre 2013

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 


 Cela fait bientôt une semaine que nous résidons au City Center Hotel. Bientôt une semaine que nous avons envie de mieux connaître Shamin Sarwar, qui en est le gérant. Mais en cette période de fête, l'hôtel ne désemplit pas et il est très occupé. Enfin, aujourd'hui il a congé. Il frappe à la porte de notre chambre à 10h00, et accepte de nous parler de ce qui l'a conduit ici. Une partie de la famille de son épouse avait déjà immigré à Los Angeles, ce qui lui a donné l'occasion de demander une carte verte à son tour. Au bout de quelques années, sa requête a reçu une réponse favorable. Il avait un bon travail au Bangladesh, au sein de la compagnie d'aviation Emirates, mais il a décidé de partir pour les Etats-Unis pour que ses filles puissent grandir dans un pays développé. Un pays où elle connaîtront un avenir meilleur. Nous découvrons un homme d'une extrême sensibilité. Il nous raconte son parcours avec une simplicité désarmante. Il est arrivé il y a cinq ans. Il a eu la chance de trouver très vite un travail. Il a changé d'emploi encore une fois avant d'être embauché dans ce motel de Downtown. Il a cru au rêve américain, aujourd'hui il avoue que sa vie comporte des difficultés. Il est si pris par son travail qu'il ne rentre que rarement chez lui. Mais il est confiant. Il est aux Etats-Unis et Dieu est à ses côtés, son travail acharné portera ses fruits.

 

 

 

 

 

 

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Los Angeles_Berverly Hills & Dowtown, 31 décembre 2013

 

 

 

 

 

 

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Concert à Grand Park. Un groupe latino a assuré la première partie, et nous croisons des familles mexicaines partant festoyer ailleurs. Maintenant, un DJ tout de blanc vêtu se démène derrière ses platines avec enthousiasme tandis qu'une immense projection vidéo illumine la façade du City Hall. La sensation qui domine est celle d'être plongée au cœur d'un bouillon de cultures d'une incroyable richesse. Ici toutes se rencontrent et se mêlent. Il n'y a pas un cheval vivant qui soit un vrai pur-sang dit Richard Powers. A Los Angeles, c'est encore plus vrai qu'ailleurs.

 

 

 

 


 

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Nous marchons dans les rues de Beverly Hills parmi les femmes attifées comme pour une soirée mondaine, les hommes en polo et les chiens bien coiffés. A dire vrai, nous serions plus à l'aise sur une piste de cirque, mais notre projet n'est pas de questionner uniquement les milieux sociaux qui nous sont proches. Nous n'avons pas fait un si long voyage pour retrouver nos semblables. Cependant, je me demande comment aborder ces gens. Où se trouve la préoccupation commune qui nous les rendra accessibles ? Alors nous faisons bonne figure, au point de pénétrer dans un magasin. Nous caressons avec conviction les étoffes des robes de New york Barney dont le prix n'est jamais en dessous de 400 dollars. Elles sont douces, et bien coupées, c'est indéniable… Nous sortons et déambulons au hasard sur Wilshire Boulevard. Rien à signaler jusqu'à ceci : une clocharde traînant ses hardes derrière elle franchit les portes de la parfumerie Saks Fifth Avenue. Elle abandonne ses sacs déchiquetés près de l'allée centrale et déambule entre les étalages. Papiers journaux moisis, bouteilles vides, canettes métalliques, vêtements crasseux, vieille urine… Le tout répand un fumet redoutable. Une fois mêlé aux effluves de la boutique, cela devient indescriptible. Sale, édentée, puante, la clocharde entreprend donc sa séance de shopping. Elle va d'un stand à l'autre, hésite. Elle prend un parfum, une crème, étale un échantillon sur sa main, renifle, repose le tube. Tout cela sous l'œil épouvanté des vendeuses. La responsable du rayon sous-vêtements abandonne son poste pour venir voir ce qui se passe. I can't believe it, I can't believe it, répète-t-elle. Certaines clientes sortent en se bouchant le nez, mais l'atmosphère feutrée coutumière dans ce genre d'établissement demeure. Finalement, l'improbable cliente jette son dévolu sur un coffret au rose précieux qui contient un assortiment de crèmes et d'eau de toilette. La vendeuse débite son boniment avec un naturel discutable, mais elles parviennent au bout de la transaction. La clocharde sort avec un joli sac cartonné contenant les petits trésors juste avant que le magasin ne ferme ses portes et que tout le monde parte fêter le nouvel an à sa façon.

 

 

 

 

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Los Angeles_West Hollywood, 1er janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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Nous quittons l'hôtel Del Flores et Beverly Hills pour West Hollywood. Nous allons séjourner dans l'hôtel où demeurait Jim Morrison. C'est l'un des moins chers de Los Angeles. Nous chargeons nos bagages dans le taxi. Le chauffeur est arménien. Il parle bien l'anglais, malgré son accent prononcé. Il est arrivé à Los Angeles il y a environ cinq ans. Auparavant il vivait en Iran. Il travaillait alors dans le tourisme, c'est ainsi qu'il a eu l'opportunité de visiter plusieurs pays européens. Ces escapades lui donné envie d'offrir une autre éducation, un autre avenir à ses filles que celui qui leur serait réservé en Iran. C'est ainsi qu'il a pris la décision de demander une carte verte. Je lui demande s'il aime la vie ici. Pas spécialement répond-il. C'est une société trop injuste, dit-il en filant à travers les rues de Beverly Hills.

 

 


 

 


 

Los Angeles_West Hollywood, 2 janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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Los Angeles_West Hollywood, 3 janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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Un billet de bus coûte 1,50$. 1,50$ c'est très bon marché si l'on pense aux kilomètres que l'on peut parcourir à bord d'un bus, de son départ à son terminus, pour une durée indéterminée, à l'abri des intempéries. 1,50$ c'est énorme quand on n'a pas d'argent sauf, bien sûr si le chauffeur a bon cœur… C'est sans doute pour cela que les bus accueillent, en plus des gens ordinaires qui se rendent au travail ou en reviennent, une bonne partie de la misère angeline. Les clochards s'y installent, y reposent leurs pieds fatiguées par la route, s'y réchauffent pendant les soirées fraîches, s'y endorment… A bord, il y a un grand nombre d'étrangers, pas des touristes, qui circulent dans des voitures de location, des taxis ou des bus spécialement affrétés pour eux pour faire des tours dans la ville et sur les hauteurs afin de voir les splendeurs d'Hollywood, le fun de Venice beach… Les étrangers dont je parle sont latinos, philippins, arméniens, russes et j'en passe, ils prennent le bus pour aller travailler au noir, pour revenir de leur travail au noir, car ils n'ont pas de carte verte, et sans carte verte, pas de permis de travail et pas de permis de conduire. Dans le bus, il y a des travestis, des transsexuels, des junks, des gens qui se sont vu retirer leur permis parce qu'ils avaient bu, fumé... Il y a aussi les handicapés, que le chauffeur aide à monter, avant d'arrimer leur fauteuil grâce à une ceinture de sécurité d'une largeur impressionnante aux parois du bus afin qu'ils ne s'envolent pas au premier coup de frein, puis à descendre. Le bus est soumis aux embouteillages et aux aléas de la ville. Sur le panneau indicateur, à l'arrêt du bus, seule la fréquence est indiquée. Nous savons donc qu'un bus passe toutes les 15 à 25 minutes si tout va bien… Parfois, il n'y a rien d'indiqué et on attend près d'un panneau sur lequel est simplement imprimé le numéro du bus, ou sous un abribus qui ne comporte pas de numéro.

 

 

 

 


 


 

Los Angeles_Venice, 4 janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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Sur les recommandations de Jacques Demierre, je me rends au Beyond Baroque pour assister à une lecture. C'est une jolie bâtisse à Venice, dans laquelle se trouve une importante librairie de poésie. Le thème de la soirée est Bad boys and the women who live through them. C'est une soirée au long cours, qui comporte huit intervenants. Le programme s'achève sur une prestation musicale. Je suis surprise par l'unité formelle de l'ensemble. Des personnalités se détachent, bien sûr. Il y a ceux qui sont plus habiles à associer les mots, leurs sons, les idées qu'ils véhiculent. Mais tous racontent des tranches de vie sur le mode du spoken words, dans un langage simple, quotidien, ce qui me permet de comprendre à peu près tout, sauf lorsque le débit accélère. Tous ont recours à l'humour pour évoquer le plus grave. Les femmes racontent leur pire expérience sentimentale, la fois où par malchance elles sont tombées amoureuses d'un sale type. Les hommes affirment qu'ils en sont, qu'ils en sont tous. J'ai parfois l'impression qu'ils ont écrit vite, pour l'événement et de ce point de vue-là, je suis un peu déçue. Mais les prestations scéniques sont d'une qualité étonnante. En lisant plus attentivement les courtes biographies imprimées sur le programme, je m'aperçois que tous travaillent pour la télévision ou le cinéma. Un film, une série, des publicités… Tous ont une expérience du jeu. Cela m'explique aussi comment ils gagnent leur vie dans un pays qui n'octroie guère de subventions. Je remarque que tant sur la scène que dans la salle, ne se trouvent que des blancs et des noirs, pas de latinos ici ce soir alors qu'ils constituent la population la plus importante de la ville.

 

A la fin de la soirée, le public se disperse rapidement. Le bar ferme. J'essaie de lier conversation avec les lecteurs qui m'ont le plus intéressée, d'expliquer ce que moi-même je suis en train de faire à Los Angeles. C'est moins facile que de lier conversation avec un chauffeur de taxi…

 

 

 

 



 

Los Angeles_West Hollywood, 5 janvier 2014





 

 

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Nous retrouvons Donna et Jared. Cette fois nous partons pour le Getty Museum. On abandonne la voiture au parking avant de gravir la montagne à bord d'un funiculaire immaculé. Le musée constitue un ensemble architectural impressionnant qui surplombe la cité, les jardins sont somptueux. Les expositions sont gratuites et d'une richesse incroyable. Nous découvrons les photographies d'Abelardo Morell. Une chambre, une pièce banale dont le mur du fond est un paysage renversé se devine en surimpression. Univers intérieur de l'habitant du lieu, reflet de ses aspirations ? Les images sont muettes. Mais elles nous donnent envie de nous inspirer d'elles pour la scénographie de Angels.

 

 

 

 

 

 



 

Los Angeles_West Hollywood, 6 janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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Il est 11h00. Au Alta Cienega Motel, c'est l'heure du check out, nous attendons sur le parking le taxi qui viendra nous chercher avec nos nombreux bagages. A l'étage, un gars sort chancelant, les cheveux en bataille de la chambre qui fut celle où vécut Jim Morrison. Il descend la volée de marches et disparaît dans la rue, laissant la porte ouverte derrière lui. Maria la femme de ménage mexicaine, arrive presqu'aussitôt munie de son seau, de son aspirateur et de ses éponges "Hello have a nice trip ! me jette-t-elle en souriant depuis la coursive, tandis que s'échappent de la petite cuisine du gérant, cachée juste derrière l'office, des parfums d'encens et d'épices. Je ne sais pas depuis combien de temps cette famille indienne est arrivée ici, eux qui secouent encore la tête de gauche à droite en souriant doucement pour dire oui. Mais ce sont eux qui gèrent aujourd'hui ce motel de West Hollywood au passé mythique.


Maria ressort de la chambre de Jim Morrison les mains vides, elle ne sourit plus comme à l'instant, et court chercher son patron qui gravit les escaliers quatre à quatre, il entre dans la chambre, ressort, et du pas de la porte, semblant tourner le dos à tout, lance plusieurs coups de fils. Maria entre récupérer son matériel, et se dirige vers une autre chambre. Elle marche lentement, elle ne répond pas à mon regard interrogateur et entre dans une autre chambre pour y remettre le monde en ordre. Le taxi  arrive. Nous chargeons le coffre et partons pour Hollywood.
 
 
 
 
 
 
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Los Angels_Hollywood, 7 janvier 2014






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Nous prenons le métro pour Universal City. Nous voulons voir de plus près où se créent les films hollywoodiens. Nous nous arrêtons dans le coffee shop installé dans la tour principale. Les touristes sont dans le petit train qui les mène au sommet de la colline pour aller visiter le parc d'attraction créé à partir des anciens décors de block busters tels que Jurassik Park. Les gens qui sont là sont tendus. Certains lisent des scenarii, d'autres ont le regard rivé sur leur laptop. Ils travaillent. Je prévois de m'installer ici avec mon ordinateur moi aussi, lorsque je reviendrai cet été. Et de rester jusqu'à ce que je parvienne à lier conversation avec l'un d'eux car je voudrais comprendre l'énergie qui anime ces gens. Ils me font l'effet d'être dans une situation apparemment enviable. J'imagine que leur job est intéressant et rémunérateur, pourtant aucun ne sourit. Aucun n'a l'air détendu. Dehors Alexandre photographie la tour, ou plus exactement, les arbres qui se reflètent dans le marbre des piliers de la tour, mais un grand gaillard muni d'un badge et d'une radio arrive au pas de course pour lui intimer de cesser : it's a private propriety. Nous partons, donc, longeant les murs de ce monde clos. Si l'on tourne à gauche et que l'on passe sous le pont, plus rien de luxueux ni d'aseptisé, liquor markets et bouibouis poussiéreux font face à une station service. A droite, les hautes grilles qui donnent aux studios des allures carcérales s'étirent jusqu'à la Los Angeles River. Il y a des gardes à chaque entrée. L'un d'eux aperçoit Alexandre qui fait des photos des haies, des grilles et des bâtiments qui me paraissent fort inoffensives. Mais il ne le voit pas de cet œil et s'approche en le menaçant de sa grosse maglite. Nous poussons jusqu'à la rivière, qui a l'air si bien domestiquée dans sa gangue de béton. Mais je sais que lorsqu'il pleut, elle gonfle, déborde et emporte tout sur son passage.

 

 

 

 

 

 

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Los Angeles_Echo Park, 8 janvier 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Antonio passe nous chercher à l'hôtel. Nous en profitons pour tourner un dernier plan : il se prête volontiers au jeu, offre son visage, les yeux clos à la caméra. Nous partons ensuite pour la Parrilla, son restaurant mexicain préféré. Il est situé tout près du City Center Hotel où nous allons reprendre nos quartiers. Au bout d'un petit mois, ce coin de ville indécis entre Echo Park et Downtown m'est devenu familier. La voiture, file, tourne, ici puis là : je sais où je suis… Jusqu'à un certain point. A la Parrilla, les serveuses portent des jupes à volants sous leurs tabliers brodés de fleurs. Les murs sont garnis de décorations typiques, auxquelles s'ajoutent les guirlandes de Noël. Je suis surprise de trouver également des portraits de Charlie Chaplin sur toutes les parois. C'est que cette maison fut la sienne, m'explique le serveur. C'est ici qu'il vivait avant de partir s'installer en Suisse. Voilà de quoi nous rappeler notre retour prochain à Genève. C'est aussi l'occasion pour moi de mesurer à quel point le quartier a changé depuis l'époque à laquelle Chaplin vivait là. La seule bâtisse qui demeure dans le quartier est le Mayfair Hotel, dans lequel nous avons séjourné au début de nos aventures angelines. Vu le standing du Mayfair, j'imagine que le voisinage était plutôt cossu, mais deux bâtiments, c'est peu pour se faire une image du quartier dans les années 1920. "La forme d'une ville change plus vite hélas que le cœur d'un humain". C'est encore plus vrai ici.

Nous sommes heureux de partager ce moment avec Antonio, qui nous a tant aidés dans notre tavail. Nous nous serrons dans les bras les uns des autres avant de nous quitter. Il promet de réactiver son réseau d'ici cet été afin de nous mettre en contact avec un dreamer qui ne sera pas effrayé de nous parler.

 

Nous avons rendez-vous avec James à 17h00. Ce garçon nous a tellement impressionnés que nous sommes allés sur Youtube pour voir ses films. Il a l'air porté par un projet plus vaste que lui-même. Sa calme détermination est rare chez une personne aussi jeune. Nous lui proposons d'être notre tête de pont à Los Angeles durant notre absence. Il devra établir des contacts avec des jeunes de son âge que nous pourrons interroger. Il lui faudra aussi rassembler un groupe de garçons et filles qui figureront sur les séquences filmées et obtenir des autorisations de tournage. Rien de tout cela ne lui paraît impossible. Et l'idée d'être notre assistant technique lors des tournages de cet été a l'air de l'enchanter. Nous nous serrons la main et trinquons à l'eau pétillante. Oui, James peut conduire, James peut monter sa boîte, mais pas boire d'alcool car il n'a pas encore 21 ans.


 

 

 

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Nous reprenons le bus pour Echo Park. Stop à Alvarado / Beverly. C'est à ce carrefour que se dresse le liquor market de Rubal. Lorsque nous sommes passés hier, nous lui avons demandé s'il serait d'accord de répondre à nos questions et de se laisser filmer. Il a dit oui à tout. Nous nous asseyons donc dans un coin de boutique dans lequel il n'y a pas de rayons pour l'instant. C'est là qu'il a l'intention d'installer les primeurs afin d'éviter aux gens du quartier d'aller jusqu'au supermarché qui est loin pour acheter fruits et légumes.

Rubal a 26 ans, il est d'origine indienne, sikh. Il avait seulement 4 mois lorsque ses parents ont immigré. Son père a obtenu une carte verte assez vite car une partie de sa famille était déjà établie aux Etat-Unis, et pouvait lui fournir un travail. Les choses ont été plus compliquées pour Rubal car ses parents ont divorcé avant que les papiers de sa mère soient en ordre. Il a fini par obtenir la nationalité américaine il y a seulement trois ans. Il est devenu propriétaire de cette épicerie à 18 ans, lors du décès de son père. Il gère la boutique seul depuis ce moment-là, ce qui ne l'a pas empêché de poursuivre ses études de sciences politiques et de biologie. Aujourd'hui, en plus de diriger le magasin, Rubal écrit. Il a d'ores et déjà envoyé des extraits de son vaste roman d'anticipation à des agents importants. Il lui sera beaucoup plus facile de sauver du temps pour écrire s'il peut obtenir une avance. Pour l'instant, il écrit après avoir fermé la boutique, à minuit.

 

Rubal nous parle de la vie du quartier, très majoritairement mexicain. Le carrefour délimite les territoires de quatre gangs latinos. Il est donc très régulièrement le théâtre de scènes de violence et de coups de feu. Récemment une balle perdue a touché un homme qui attendait sa tortilla devant le camion blanc où nous nous sommes régalés hier. Il parle de ses copains d'école, coincés dans la vie du gang, la sachant sans issue. L'un d'eux, marié et jeune papa a quitté le gang, mais il craint chaque jour les représailles de ses anciens compagnons. Il voudrait partir, quitter le quartier, mais n'a pas d'argent pour déménager.

 

Et puis il y a les drogués. Ils sont légions par ici, à proximité de la "clinique à méthadone" contre laquelle Rubal nourrit une haine particulière. Aucun traitement en vue d'un sevrage n'est délivré ici. On se contente de vendre la méthadone aux drogués qui l'achètent sur le maigre argent que les services sociaux leur attribuent pour manger. Rubal, comme d'autres commerçants du quartier les aide comme il peut, mais ça n'a pas de sens, pas de fin, puisque les drogués ne peuvent pas décrocher. Il fait simplement durer leur enfer plus longtemps. Rubal ne supporte pas l'injustice de la société américaine et la manière dont Los Angeles laisse les pauvres se débattre dans le néant tandis que les riches vivent dans un luxe indécent. Mais il aime cette ville au point qu'il ne peut imaginer la quitter un jour.

 

 

 

 

 

 


 

 Los Angeles_Downtown, 9 janvier 2014

 

 

 

 

 

 

Jean-Baptiste Ruggiero realtor los angeles from avec-productions on Vimeo.

 

 

 

 

 

 

Alexandre et Jean-Baptiste sont en contact depuis de nombreux mois. Durant notre séjour à Los Angeles, nous avons essayé de nous rencontrer à plusieurs reprises, en vain. Mais aujourd'hui Jean-Baptiste est là. Il arrive au City Center Hotel à 11h00. Il est immense, son regard bleu est perçant, avec son jean et sa chemise à rayures, il ressemble beaucoup à l'idée qu'on se fait d'un Américain, mais Jean-Baptiste est français, installé à Los Angeles depuis deux ans et demi. Il habite à Pasadena. Il a choisi ce quartier pour la qualité de ses écoles primaires. C'est un critère déterminant pour les nouveaux arrivants qui s'installent à Los Angeles. Il en sait quelquechose, car il travaille dans l'immobilier. C'est sa passion. Profitant du passeport américain de son épouse, Jean-Baptiste est venu à Los Angeles pour pouvoir se déployer. Il avait l'impression de ne pas pouvoir travailler autant qu'il le souhaitait en France, où selon lui la réussite et l'argent sont mal vus. Ici on ne demande pas aux gens s'ils font des heures supplémentaires ou s'ils ont plusieurs jobs, cela va de soi. La question qu'on leur pose plutôt, c'est comment ils ont fait pour pour pouvoir s'offrir une belle voiture, une piscine, une grande maison. Jean-Baptiste n'a pas de congé, pas de vrai jour de repos, mais il a confiance dans le fait que son travail sera récompensé. Le dimanche, il visite des maisons avec sa famille pour le compte de ses clients. Il m'explique que les maisons à vendre sont souvent ouvertes en fin de semaine, il en reçoit la liste régulièrement et pourra nous informer des adresses auxquelles nous pourrons nous rendre cet été pour pouvoir filmer des intérieurs de villas.

 

Jean Baptiste me donne beaucoup d'informations sur le mode de vie américain. Il est précis et ses réflexions remettent souvent en question mes habitudes de pensée. Il m'apprend par exemple que certes, les assurances maladie n'existent pas au sens où nous l'entendons en Europe. Mais la solidarité est bien plus grande que celle à laquelle nous sommes accoutumés. Ainsi une famille de sa connaissance a perdu son fils de 11 ans des suites d'une sale maladie. Alors les amis, les voisins, les connaissances se sont mobilisés pour venir à bout des frais engendrés par l'hospitalisation de l'enfant. Deux mille personnes se sont finalement cotisées, afin que les parents n'aient pas d'autres soucis que leur chagrin. Un filet social existe donc, un réseau invisible qui rend signifiant le terme de communauté, si souvent présent sur les lèvres des Américains. Il ajoute, pensif, moi mon assurance maladie, c'est mon cousin.


Pendant notre voyage à Los Angeles, nous avons surtout vu les trous de ce tissu social. Les handicapés, les malades mentaux qui vivent dans la rue, et ceux qui ne sont plus assez sympathiques pour faire partie d'aucune communauté. Rencontrer Jean-Baptiste aujourd'hui, optimiste, confiant en l'avenir et conquérant modifie une fois de plus mon regard sur la société américaine, dont Los Angeles est une représentation extrême. Je ne sais qu'un chose, je n'ai rien vu à Los Angeles.

 

 

 

 

 


 

Los Angeles_Dowtown, 10 janvier 2014

 

 

 

 

 

 

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Genève, le 2 mai 2014

 

 

 

 

 

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Genève, le 20 juin 2014

 

 

 

 

 

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