4 octobre 2011

 

 

MARZ41

 
 

  

 

 

Je suis retournée à Eastend. Seule. J’ai passé l’après-midi à une table, et j’ai d’abord invité Paul à venir me parler de son rapport à ce quartier. De son histoire, de la manière dont il voit son avenir. Paul a une vingtaine d’annés, il est stagiaire à Eastend, qu’il a auparavant assidûment fréquenté en tant que musicien. Il y a répété avec son groupe, enregistré ses morceaux… Il respire la joie de vivre et se prête volontiers au jeu. Il m’explique qu’il n’habite pas dans un Plattenbau, mais dans une maison au bord de la Spree. Il n’a pas le projet d’en partir, et pour cause : ses parents vont déménager d’ici peu et lui laissent la maison. Il a déjà commencé d’y aménager son studio et se réjouit d’y répéter bientôt. Son avenir ? Il veut devenir éducateur. Faire de la musique avec des jeunes. Partager sa passion avec eux… Paul, est un plein d’enthousiasme. C’est un plaisir de parler avec lui.

 

Ensuite, mes discussions avec les jeunes me laissent perplexe, vaguement inquiète tant j’ai le sentiment que certains sont dénués de tout espoir. Une jeune fille surtout. A qui je demande ce qu’elle vient faire à Eastend, quelle activité elle pratique. Rien répond-elle, je suis là, c’est tout. Et qu’est-ce que tu aimes faire dans la vie ? Silence. Tu as des projets pour plus tard ? Silence. Il y a dans le quartier un endroit que tu aimes particulièrement ? Non. Il t’arrive d’aller au centre de Berlin ? Des fois je vais à Eastgate. J’achète des vêtements. L’entretien tourne vite court. J’ai l’impression que toutes les questions que je pourrais lui poser sont piégées. Je la remercie et propose à une autre jeune fille de venir s’asseoir à la table. La petite Caroline est plus ouverte, elle surmonte sa timidité pour répondre à mes questions. Plus  tard, elle souhaite vivre à la campagne, avec des animaux. Elle veut travailler avec des chevaux, les soigner les nourrir… Si elle est heureuse à Marzahn ? Non, ses parents ne gagnent pas assez d’argent. Alors ils se disputent Il aurait fallu acheter ceci plutôt que cela et comment faire maintenant pour payer le loyer, l’électricité… Sa mère est vendeuse, un minijob (quelques heures de travail par semaine, qui ne rapportent pas plus de 400 euro par mois, ce qui évite à l’employeur de payer des charges sociales, car il ne peut être considéré comme un employeur principal). C’est pas assez payé. Et son beau-père  est au chômage. Elle réfléchit un moment, et elle me dit, tu sais moi aussi je serai vendeuse. J’espère juste que ce sera à l’animalerie. A l’animalerie ce serait déjà bien. Vient ensuite un garçon très sérieux. Il vient ici pour rencontrer ses amis et jouer au babyfoot. Il ne sort jamais du quartier. Pour quoi faire il y a ce qu’il faut ici. Plus tard il travaillera à la deutsche Bahn. Conducteur de train. Il a déjà des contacts. Son oncle travaille à la Deutsche Bahn il fera comme lui… Son avenir est tracé et rien ne le fera dévier de son ambition. Tant de certitude me met mal à l’aise, à peu près autant que le néant entraperçu tout à l’heure.

 


 

 

 

MARZ40

 


Heureusement je retrouve une saine détermination et une belle énergie chez Simone, qui a fondé Eastend avec quelques autres éducateurs. Elle me raconte comment ils ont trouvé les fonds nécessaires, rénové les le bâtiments… Les instances auxquelles ils ont demandé de l’argent ont vite compris qu’il était mieux et finalement moins coûteux pour la communauté que les jeunes jouent au babyfoot ou fassent de la musique sous l’œil bienveillant d’éducateurs surmotivés plutôt qu’ils traînent dans les rues à longueur de journée.

Simone vit dans un Plattenbau depuis son enfance. La vue dégagée, l’espace, le côté fonctionnel de son appartement représentent pour elle un confort incomparable. Et la campagne n’est pas loin. Pour rien au monde elle ne quitterait son quartier et le mode de vie qui va avec pour un autre.

 

Je comprends progressivement qu’elle est blessée par l’image de Marzahn qui est devenue très négative depuis la chute du mur. Comment un quartier que l’on considérait avec tant de fierté comme comme l’expression même de la modernité a-t-il pu il devenir en si peu d’années le lieu sinistre et mal famé que l’on décrit dans les journaux ? Oh elle a bien vu déménager les plus aisés pour d’autres quartiers plus cossus, ceux qui enfin pouvaient réaliser leur rêve d’une maison individuelle. Elle a vu ses voisins perdre leur emploi. En trouver un autre, ou pas. Elle a vu le « lien social » se détériorer, comme on dit. Simone n’est pas naïve. Elle comprend. Mais à Eastend, elle travaille chaque jour à ce que le monde ressemble un peu à l’idée qu’elle s’en fait. Et l’ouvrage ne manque pas.