INTRODUCTION

 

En 2006, Jacques Demierre fait son premier voyage au Japon, Je l’avait vécu 10 années auparavant et Alexandre Simon voyage depuis des années à travers la littérature japonaise.Jacques revient bouleversé par son voyage, raison du voyage: une tournée et  des rencontres avec des  musiciens et danseurs japonais. A son retour, il me raconte «  son  » Japon. Je me souviens alors de sa fascination pour le pachinko, de son désir d’écrire une pièce avec ce matériau, du son de la ville qui va très vite, du chant des vendeurs aux enchères de thons à la halle aux poissons à Tokyo. Il parle des extrêmes qu’il a ressentis à travers la vie des Japonais.

En 2007, il part faire son deuxième voyage. Là, il prend beaucoup de  photos et de films, fasciné alors par le métro, le train et la rue, un regard plus populaire, peut-être plus tourné vers le quotidien d’une vie japonaise. Ses photos, ce sont des lignes, beaucoup de droites; ses films , du mouvement sans cesse .... sans cesse du mouvement.

Le Japon de Jacques, c’est un Japon moderne, virtuose ou véloce, avec du son en permanence,du son noise.... une vitesse, du jeu, une certaine excitation et ses paradoxes et ses extrêmes . Son Japon est le Japon d’aujourd’hui.

En 1995, j’y ai séjourné quelques semaines. Ce qui m’a bouleversé: le temple, la vie de ce  temple dans lequel je pratiquais les arts martiaux le matin à 5h00.

Un silence, une tranquillité, un espace vide et accueillant, une pudeur et une liberté.A ces instants, une mixité de situations, il y avaient ceux qui pratiquaient  les arts martiaux,les grand-mères japonaises si petites, toute tordues qui nettoyaient déjà la mousse des jardins en passant le peigne pour que celle-ci soit emplie de pureté. Puis il y avait les moines qui allaient prier. Parfois c’était juste une prière, sans sons, et puis parfois il y avait les chants et le tambour. Là, le temple résonnait très intensément.... mon entraînement cessait à ces instants de magie et de grâce; un bonheur splendide, comme un cadeau, cette intimité entre nous tous nous était offerte.

Nous n’étions pas nombreux, chacun se mouvait et s’exprimait librement, tel un équilibre  subtil et merveilleux dans une totale confiance et pudeur.... et puis je suis allé au temple d’argent en empruntant le chemin des philosophes et j’ai beaucoup admiré les paravents.Le Japon résonne en moi à  travers ses traditions les plus anciennes. C’est le Japon de Kyoto que je connais alors que Jacques connait peut-être plus celui de Tokyo.

Quand Jacques est revenu de son premier voyage, je préparais un projet pour la villa Kujoyamaà Kyoto. Ce projet se réalise cette année. Je serai à Kyoto durant six moix afin de réaliser une performance vocale en solo en lien avec le théâtre Nô et le théâtre Bunraku, ma voix ayant un lien privilégié avec  ces chants....

Et puis il y a eu des lectures, Kawabata, Barthes, Murakami, Mishima.

Alexandre Simon nous a permis de découvrir l’île Nue, un film de Kaneto Shindo, un film sans paroles, racontant la vie d’une famille de paysans; une narration de gestes quotidiens, de regards; ce film existe  tel une référence pour notre projet ....  tout est dit dans le regard, dans le son, dans l’image.

Pour finir, il y a l’amour du thé vert partagé par nous trois, chercher la profondeur, admirer le vert qui se mouve, découvrir la finesse, la subtilité du goût, de la texture, la volupté de l’amertume, la rondeur.... chercher à être au plus près du thé.

Nous avons alors rêvé d’un projet commun et commencé à imaginer ce que pourrait être notre lecture du Japon. Etant profondément marqués et inspirés par la lecture de L’Empire des signes  de  Roland Barthes, notre désir a été d’inscrire notre Japon à travers le son et la scène puisque nous sommes musiciens. Mais très vite la nécessité du visuel est apparu essentielle à nos désirs et c’est tout naturellement que nous nous sommes tournés vers le travail d’Alexandre Simon.

Nos amours complémentaires du Japon et le désir intense d’Alexandre de le découvrir nous a semblé à tous les trois une merveilleuse piste à suivre et une aventure à vivre. Depuis Alexandre et Jacques ont réalisé un premier travail sur le Japon. Alexandre a utilisé comme matériau d’écriture les images prises par Jacques lors de son deuxième voyage: des pas, des lignes, des droites. Alexandre y a posé  et retranscrit son regard et Jacques a utilisé un système de son quadriphonique, sons et images provoquant un étrange voyage de sensations corporelles visuelles et sonores.

Et nous voilà chacun riche de nos vécus et de nos découvertes, désireux de suivre ensemblecette route traversant l’abstraction, le vide, l’espace, la forme.... à la recherche du blanc.... à venir

 

Isabelle Duthoit